VII.
Ceux qui n'ont été mis au nombre des sages que par une erreur et une surprise qui est maintenant reconnue et avouée de tout le monde, ont été trompés par des fausses apparences et n'ont embrassé que des ombres et des fantômes. La voie trompeuse qu'ils ont suivie a divers détours qui sont formés comme par les caprices des opinions et des sectes dans lesquelles ils se sont égarés. Car, comme le chemin de la sagesse a quelque apparence de folie, ainsi que je l'ai fait voir dans le livre précédent, le chemin de la folie a aussi quelque apparence de sagesse, qui est conservée par ceux qui ont assez de lumières pour découvrir la folie du peuple. Si ce chemin a des vices manifestes, il a aussi quelque image de la vertu ; s'il a des injustices que l'on ne saurait déguiser, il a aussi une ombre de justice que l'on ne saurait s'empêcher d'apercevoir. Comment le guide infidèle qui est à la tête pourrait-il y engager une si prodigieuse multitude, s'il n'y semait des attraits capables de la tromper? Dieu ne désirant pas découvrir les mystères, a placé à l'entrée de son chemin des choses que les hommes ont méprisées, à cause de quelque sorte de bassesse ou d'infamie dont elles leur paraissaient mêlées, afin que s'éloignant de la sagesse et de la vérité qu'ils cherchaient sans aucun guide, ils tombassent dans les maux qu'ils auraient bien voulu éviter. Le guide trompeur qui est à l'entrée du chemin de la mort montre plusieurs détours à ceux qu'il veut perdre, soit à dessein de leur persuader qu'il sait faire la différence du bien et du mal, de la vérité et du mensonge, ou en effet par la seule raison que les mêmes vertus ne sont pas propres indifféremment à toutes sortes de personnes, et que comme il y a plusieurs dieux, il y a aussi plusieurs moyens de se perdre en les honorant. Ce guide ne mène pas les débauchés par le même chemin par où il mène ceux qui semblent conserver quelque sorte de retenue et d'humilité. Il mène les ignorants par un autre chemin que les sa vans, les lâches par un autre que les courageux, le peuple par un autre que les philosophes. Le chemin par où il mène les philosophes est encore divise par des routes particulières ; car il détourne un peu du grand chemin ceux qui n'ont pas d'aversion des voluptés et des richesses, et il traîne à travers les précipices ceux qui font profession de mépriser les biens de la terre et de ne chercher que la vertu. Ces sentiers-là semblent un peu plus écartés que le grand chemin; mais il n'y en a aucun qui n'y ramène. Le guide qui avait séparé les philosophes d'avec le peuple et les savants d'avec les ignorants, les rassemble tous à la fuis et les réunit dans le culte des faux dieux pour les égorger du même fer, et pour les faire périr du même genre de mort.
Le chemin de la vérité, de la sagesse, de la vertu et de la justice est unique. Nous y marchons du même pas, et dans la même disposition de cœur, parce que nous n'y servons que Dieu, le seul objet de notre culte. Ce chemin est étroit parce que la vertu est une faveur qui n'est pas accordée à tout le monde. Il est droit et rude, parce que la vertu est assise sur une hauteur où l'on ne saurait monter sans peine.
