XXIV.
Que si néanmoins quelqu'un étant ou vaincu par la cupidité, ou charmé par le plaisir, ou aveuglé par Terreur, ou contraint par la force, s'éloigne du chemin de la justice, il ne faut pas qu'il perde pour cela courage, ni qu'il s'abandonne au désespoir; il peut rentrer dans le bon chemin, ou se délivrer de la tyrannie de ses passions, en concevant un regret sincère de ses fautes, en formant le dessein d'une conversion sérieuse, et en satisfaisant par de bonnes œuvres à la justice divine qu'il a offensée par ses crimes. Cicéron n'ayant pas cru que ce changement fût possible, en a parlé en ces termes dans te troisième livre des Questions académiques : « Si ceux qui se sont écartés du chemin de la vérité y pouvaient rentrer en détestant leur erreur, ils se trouveraient fort heureux dans leur égarement. »
Ils le peuvent certainement ; car si nous croyons que nos enfants ont changé de vie, nous voyous qu'ils témoignent du repentir de leurs fautes ; et si, au lieu que nous les avions chassés de notre présence et menacés de les priver de notre succession, nous les recevons avec joie, et les embrassons avec tendresse, pourquoi désespérerions-nous de la clémence de notre père ? C'est le plus doux de tous les pères, et le plus indulgent de tous les maîtres, qui promet de pardonner à ceux qui se repentiront sérieusement de leurs fautes. Comme l'innocence ne sert de rien à celui qui l'a perdue par ses crimes, les crimes ne nuisent en rien à celui qui les a effacés par la pénitence. Quiconque en a conçu les sentiments, reconnaît sa faute, et change en quelque sorte d'esprit, comme il est marqué par le terme grec qui est plus convenable que le nôtre, et qui pourrait être rendu par celui de résipiscence ; car ceux qui renoncent aux désordres de leur vie passée et qui réforment leurs mœurs, retournent en quelque sorte à la sagesse d'où ils s'étaient éloignés. Quand les bêtes ont une fois échappé d'un péril, elles se tiennent sur leurs gardes plus qu'auparavant, et évitent avec plus d'adresse les filets où elles s'étaient laissé prendre. Ainsi ceux qui se repentent sérieusement de leurs péchés, veillent sur eux-mêmes avec une plus grande application pour n'en plus commettre de semblables. Il n'y a personne, pour vigilant qu'il puisse être, qui ne soit quelquefois surpris et qui ne fasse quelque faute. Dieu, qui connaît notre faiblesse, a eu la borne de nous accorder le remède de la pénitence. C'est pourquoi ceux qui se sont égarés, doivent revenir au bon chemin le plus tût qu'il est possible. Je sais bien qu'il est aussi difficile de te relever, qu'il est facile de tomber. Il est difficile de renoncer aux plaisirs dont on a goûté la douceur : on s'en priverait avec moins de peine, si l'on n'en avait jamais joui. Ceux néanmoins qui auront le courage de se délivrer de cette tyrannie, obtiendront de Dieu le pardon. Que personne ne se flatte, dans l’impénitence, de l'espérance de l'impunité, sous prétexte qu'il n'a point de complices, et que ses crimes sont inconnus. Quand ils seraient inconnus aux hommes, ils ne le seraient pas à Dieu. Sénèque a fini ses exhortations par une merveilleuse sentence : « Le Dieu, dit-il, au culte duquel toute la suite de notre vie se rapporte en quelque manière, est quelque chose de plus grand que nous ne saurions penser; nous devons nous conduire de telle sorte qu'il approuve notre conduite. » Le secret de notre conscience ne nous servira de rien ; il n'y a point de secret pour lui. Un homme instruit des vérités de notre religion, aurait-il pu mieux parler qu'à part ce philosophe, qui n'en avait ni le connaissant
Il a exprimé la grandeur de Dieu, quand il a dit qu'il est au-dessus de nos pensées. Il a puisé dans la source de la vérité, quand il a reconnu que les hommes n'ont pas été mis en vain sur la terre, comme les épicuriens le prétendaient, mais qu'ils y ont été mis pour servir Dieu et pour lui rendre un culte qui consiste en des actions de justice et de piété. Il aurait sans doute embrassé notre religion, si quelqu'un la lui avait enseignée, et il aurait quitté Zénon et Sotion pour suivre un docteur de la véritable sagesse : « Conduisons-nous, dit-il, de telle manière que Dieu approuve notre conduite. » Cette parole pourrait paraître divine si elle n'avait été précédée par l'aveu de son ignorance. Le secret de notre conscience ne nous servira de rien : il n'y a point de secret pour Dieu; il n'y a nul moyen de nous déguiser. Nous pouvons dérober nos actions aux yeux des hommes en fermant les portes ; mais nous ne saurions cacher si bien notre cœur que Dieu n'en voie tous les mouvements.
Le même Sénèque dit, dans les premiers livres du même ouvrage : « Que faites-vous? que méditez-vous? que prétendez-vous? Vous ne sauriez vous cacher ; votre garde vous suit partout. Vous pouvez être séparé d'un de vos amis par l'occasion d'un voyage, d'un autre par la mort, d'un autre par la maladie ; mais celui-ci ne vous abandonne jamais : pourquoi choisissez-vous le lieu le plus retiré, et pourquoi en éloignez-vous tout le monde? Êtes-vous assez imprudent pour espérer de n'être point découvert? Que vous sert de n'avoir point de complice, puisque vous avez une conscience? »
Cicéron a parlé de Dieu et de la conscience d'une manière aussi admirable que Sénèque. « Souvenons-nous, dit-il, que nous avons Dieu pour témoin, c'est-à-dire notre conscience, qui est la chose la plus excellente et la plus divine que Dieu nous ait donnée. » Faisant en un autre endroit le portrait d'un homme de bien, il dit : « Un homme tel que celui que je décris, ne fera ou ne pensera jamais rien qu'il ne puisse publier. »
Effaçons donc les taches de notre conscience, qui est exposée aux yeux de Dieu ; et, comme dit le même auteur, songeons, à chaque action que nous faisons, que nous serons tenus d'en rendre compte, et que nous sommes exposés non à la vue de tous les hommes, comme Cicéron a dit, mais à la vue de Dieu. Il nous serait plus aisé de nous cacher de notre propre conscience que de nous cacher de lui : il faut donc que nous lui découvrions nos blessures, et que nous en fassions sortir tout le venin. Il n'y a que celui qui a redressé les boiteux, qui a rendu la vue aux aveugles, qui a guéri les lépreux et ressuscité les morts, qui les puisse réformer; il éteindra dans notre cœur l'ardeur de la concupiscence, il en arrachera la racine de la volupté ; il y apaisera les mouvements de la jalousie et de la colère. Il faut avoir recours à ces remèdes avec d'autant plus d'empressement, que les maladies de l'âme sont plus dangereuses que celles du corps. Quand un homme aurait l'usage de tous ses sens, et qu'il jouirait d'une parfaite santé, il ne laisse pas d'être malade s'il est transporté de colère, s'il est enflé d'orgueil, s'il est consumé par le feu de l'amour, et qu'il soit esclave des autres passions. Au contraire, celui qui ne porte point d'envie au bonheur d'autrui, qui n'admire point les richesses, qui ne regarde jamais une femme avec un mauvais désir pour elle, qui ne souhaite point le bien d'autrui, qui ne méprise personne, qui a dans le cœur la douceur, la modestie, la libéralité, l'amour de la paix, celui-là, dis-je, jouit d'une santé parfaite. Ceux qui observent religieusement ces préceptes sont véritables serviteurs de Dieu, et l'honorent par le sacrifice de leurs bonnes œuvres. Dieu ne nous demande point de victimes sensibles, il ne nous demande que la pureté de nos mœurs. Pour faire ce sacrifice, il ne faut ni herbes, ni gazon, ni entrailles de bêtes ; il ne faut que les mouvements du cœur. L'autel sur lequel on offre est au milieu du cœur même, et cet autel n'est point souillé de sang, parce que l'on ne met dessus que l'innocence, la patience, la douceur, la chasteté et l'abstinence. Voilà les cérémonies par lesquelles Dieu veut être adoré; voilà la loi excellente et divine qui commande constamment le bien, qui défend constamment le mal, et qui porte infailliblement à la justice et à la sainteté. Je n'ai touché qu'une partie des commandements qu'elle renferme; ceux qui voudront savoir les autres pourront les puiser dans la source dont nous n'avons ici qu'un ruisseau.
