XXV.
Je dirai maintenant quelque chose des sacrifices. « L'ivoire, dit Platon, n'est pas un présent digne de Dieu. Quoi donc! seront-ce des tableaux ou des étoffes précieuses? Ce qui se peut corrompre et ce qui peut être ravi n'est pas un présent de Dieu. » Platon, ayant fort bien reconnu qu'il ne faut rien offrir de mort à un Dieu vivant, comment n'a-t-il pas reconnu qu'il ne faut rien offrir de corporel a un Dieu incorporel? Sénèque en a beaucoup mieux jugé. Quand il a dit : « Figurez-vous un Dieu dont la bonté est égale à la grandeur, dont la douceur est infinie aussi bien que la majesté, qui est toujours présent, qui veut être honoré non par le sang des animaux (car quel plaisir pourrait-il prendre à les voir égorger?), mais par la pureté et par la sainteté de la conscience. » Il ne lui faut point élever de temples d'une magnifique architecture, mais le consacrer dans soi-même. Quiconque s'imagine que Dieu prenne plaisir à recevoir de riches choses, des pierreries, ou qu'il estime des choses que les hommes sages méprisent, ne connaît pas Dieu. Quel sera donc le présent digne de lui, si ce n'est ce qu'il demande par la loi? On offre à Dieu des présents et des sacrifices. Ceux qui n'ont aucune connaissance de la manière dont il veut être adoré se persuadent qu'il ne lui faut point offrir d'autres présents que des ouvrages d'or et d'argent, des étoffes de soie et de pourpre, ni d'autres sacrifices que celui des victimes et des autres matières qui peuvent être brûlées sur l'autel. Mais Dieu étant incorruptible, il n'a besoin ni de ces dons, ni de ces sacrifices corruptibles. Ainsi il lui faut offrir des dons et des sacrifices qui n'aient rien ni de corruptible ni de corporel. Le présent qu'il lui faut offrir, c'est l'intégrité de la conscience; le sacrifice, c'est la louange. Dieu étant invisible, le culte qu'on lui rend le doit être aussi. Il n'y a de véritable religion que celle qui consiste dans la vérité et dans la justice. Il est aisé de comprendre de quelle manière Dieu est honoré par la justice de l'homme. Si l'homme est juste, il aura l'immortalité pour la récompense de sa justice, et servira Dieu éternellement. Cicéron et des philosophes plus anciens que lui se sont doutés que l'homme n'a été mis dans le monde que pour y pratiquer la justice. Voici comment il en parle dans les livres des Lois : « Parmi les vérités qui sont enseignées par les savants, il n'y en a point de si excellente, ni de si glorieuse pour l'homme, que d'être né pour être juste. Nous ne devons donc offrir à Dieu que ce qu'il veut recevoir de nous. Trismégiste reconnaît ces deux sortes de sacrifices, et s'accorde parfaitement avec nous, ou avec les prophètes que nous suivons, tant pour les termes que pour le sens, lorsqu'il parle de la justice. « Adorez, dit-il, mon fils, et suivez cette parole : le service unique que l'on rend à Dieu est de s'abstenir du mal. » Dans le Discours parfait, après qu'Asclépius a demandé à son fils si son père avait pour agréable qu'on lui présentât de l'encens et d'autres parfums dans les sacrifices, il s'écrie : « Mon cher Asclépius, on ne saurait, sans impiété, avoir de semblables pensées touchant ce bien souverain et unique. » Des présents de cette sorte ne lui conviennent point du tout ; il a U plénitude de toutes ces choses, et n'en a aucun besoin. Rendons-lui de profondes actions de grâces et une humble adoration : le sacrifice n'est autre chose que la bénédiction et la louange. Dieu étant une parole, c'est par la parole qu'il lui faut offrir des sacrifices, comme Trismégiste l'a confessé. Le culte le plus parfait et le service le plus excellent que Dieu puisse recevoir, c'est la louange publiée par la bouche d'un homme juste; il faut que cette louange-là, pour être agréable, soit accompagnée d'humilité, de crainte et de respect, de peur que celui qui la présente, ne mettant sa confiance dans son innocence et dans sa vertu, n'en perde le mérite par son orgueil. S'il veut plaire à Dieu et être exempt de péché, il faut qu'il implore sans cesse sa miséricorde, qu'il ne demande autre chose que le pardon de ses fautes, quand même il n'en aurait commis. Que s'il désire quelque grâce, il n'a pas besoin de l'exprimer, puisque Dieu connaît ses désirs. Quand il lui arrive du bien, qu'il en remercie Dieu. Quand il lui arrive du mal, qu'il l'accepte comme une peine due à ses péchés, et comme un moyen de satisfaire à la divine justice. Qu'il ne cesse jamais ni de remercier Dieu au temps auquel il lui arrive du mal, ni de satisfaire à la justice au temps auquel il lui arrive du bien, afin qu'il soit toujours égal, et qu'il demeure dans une assiette immobile et immuable. Il ne croira pas être obligé à s'acquitter de ces devoirs-là que dans l'église; il s'en acquittera en tous lieux, dans sa chambre et dans son lit : il fera un temple de son cœur, parce qu'il est lui-même le temple de Dieu. En servant le Seigneur souverain de l'univers et le père commun de tous les hommes avec cette assiduité et ce zèle; il arrivera à la perfection du christianisme, et remplira tous ses devoirs.
