XIX.
Lorsque les stoïciens tâchent d'ôter à l'homme les passions comme les maladies qui ruinent la santé de l'âme, les péripatéticiens s'y opposent, et soutiennent que la nature ne les lui a pas données sans une très grande raison. Ils n'auraient pas tort en cela, s'ils savaient quelles sont les justes bornes des choses. Ils disent que la colère est comme le foyer de la valeur, comme si pour se battre avec courage il fallait nécessairement être transporté de colère. Il faut bien voir par là qu'ils ne savent ni ce que c'est que la vertu, ni pourquoi Dieu a donné la colère à l'homme. Si elle a été donnée pour tuer des hommes, il n'y a rien de si cruel que l'homme, que Dieu a créé pour vivre dans l'innocence et dans la société, il n'y a rien de si semblable aux bêtes les plus farouches. Il y a trois passions qui l'engagent en toute sorte de crimes: la colère, le désir et le plaisir. C'est pour cela que les poètes ont feint qu'il y avait trois furies qui agitaient son âme. La colère demande la vengeance, le désir demande les richesses, et le plaisir demande la volupté. Dieu a mis à toutes ces choses certaines bornes qu'elles ne peuvent passer sans corrompre leur nature et sans devenir vicieuses. Il est aisé de les marquer. Le désir nous a été donné pour acquérir les choses qui sont nécessaires à la conservation de notre vie ; le plaisir nous a été donné pour la production des enfants, et la colère pour retenir dans le devoir ceux qui sont sous notre puissance, pour imprimer de la crainte aux jeunes gens, et pour empêcher qu'ils ne prennent une licence effrénée de se porter a toutes sortes de vices. S'il est juste, et même nécessaire, d'entrer en colère contre ceux qui sont au-dessous de nous, il est dangereux et impie d'y entrer contre nos égaux : cela est impie, parce que l'on ne le saurait faire sans violer l'humanité ; et cela est dangereux, parce que s'ils se défendent il faut ou périr ou les perdre. Le commandement que Dieu nous fait de ne nous point mettre en colère contre ceux qui nous offensent et qui nous disent des injures, montre clairement que cette passion ne nous a été donnée que pour l'usage que j'ai marqué, qui est de ne point souffrir, par une pernicieuse indulgence, les fautes de ceux qui sont au-dessous de nous, et de les corriger sans cesse, de peur que leurs vicieuses habitudes se fortifient. Quelques philosophes ont étendu, par ignorance, les bornes de ces passions, et les autres les ont absolument rejetées, bien que l'on en puisse faire un fort bon usage. C'est une des grandes sources des injustices et des impiétés qui se commettent dans le monde. Quand on entre en colère contre ses égaux, on excite des contestations, des querelles et des guerres. Quand on désire amasser de grandes richesses, on use de tromperies, et on commet des brigandages et des meurtres. Quand on ne cherche ce plaisir que pour le plaisir, on est porté aux fornications, aux adultères et à d'autres abominations. Il faut contenir ces commandements dans les bornes qui leur sont prescrites ; ce que ne peuvent faire ceux qui ne connaissent pas Dieu ; mais ceux qui le font sont patients, courageux et justes.
