XXIII.
Je dirai maintenant quelque chose de l'attouchement, qui est un plaisir qui se répand sur toutes les parties du corps. Je ne crois pas devoir parler des habits ni des ornements, mais seulement de la volupté, et faire voir combien elle est dangereuse et avec combien de soin on est obligé de la réprimer. Quand Dieu a créé les deux sexes, il leur a donné une inclination par laquelle ils se recherchent l'un l'autre, et par laquelle ils se joignent ensemble avec un plaisir très sensible. C'est par l'accomplissement de ce désir, si général et si ardent, que les espèces de tous les animaux se conservent. Il semble que ce désir est plus vif et plus impétueux dans les hommes que dans les bêtes ; soit que Dieu ait voulu qu'il y eut sur la terre une plus grande multitude d'hommes que d'autres animaux, ou qu'il leur ait donné à eux seuls la vertu, afin qu'ils eussent la gloire de résister aux charmes de la volupté. Notre ennemi sait combien est grand le pouvoir de cette cupidité, que quelques-uns appellent une nécessité, et qu'ils détournent de son véritable objet, pour la porter vers un autre. Il inspire aux hommes de mauvais désirs, afin qu'au lieu de se contenter des plaisirs permis, ils en cherchent de défendus. Il met devant les yeux des beautés qui excitent les passions; il allume dans le cœur le feu de l'amour et l'excite jusqu'à ce qu'il ait réduit l'homme en cendre. Il a établi des lieux de prostitution, de peur que quelqu'un ne fût détourné de la débauche par l'appréhension des lois: il y expose de misérables femmes qui ont renoncé à la pudeur, et il fait son divertissement et son jeu des infamies qu'elles y souffrent. Ainsi il plonge dans le bourbier des âmes que Dieu a créées pour être saintes. Il les dépouille de la pudeur, de l'honnêteté. Il a inventé les conjonctions abominables et contraires à la nature par lesquelles les mâles se corrompent réciproquement. De quel crime peut-on espérer que ceux-là se puissent abstenir, qui sacrifient à leur brutalité un âge pour lequel sa faiblesse et l'innocence ne leur devraient donner que de la compassion et du respect ? Il n'y a point de paroles qui égalent l'énormité de ce crime. Je ne saurais rien dire de ceux qui en sont coupables, sinon que ce sont des impies et des parricides, qui ne se contentant pas de jouir du sexe dont Dieu leur a accordé l'usage, outragent le leur propre par une brutalité sacrilège. Cependant ces actions-là passent pour honnêtes parmi eux, ou n'y passent tout au plus que pour des fautes fort légères. Que dirai-je de ceux qui s'abandonnent à une débauche, ou plutôt à une folie détestable? Il me fâche d'en parler. Mais que voyons-nous qu'il doive arriver à ceux qui ne rougissent pas de la pensée de se plonger dans ces abominât ions? Il ne faut point avoir de honte de publier ce qu'ils n'ont point de honte de faire. Je parle de ceux dont l'horrible impudicité et l'exécrable fureur n'épargnent pas la tête, cette partie la plus élevée et la plus sacrée du corps. Comment pourrai-je témoigner assez d'indignation et assez d'horreur d'un crime si infâme et si détestable ? Je n'ai point de paroles qui ne soient au-dessous de son énormité. Noos avons besoin d'une très grande vertu pour nom préserver d'un si funeste débordement. Quiconque ne peut arrêter l'impétuosité de cette furieuse passion, la doit renfermer dans bornes d'un mariage légitime, afin que, sans devenir criminelle, elle jouisse du plaisir qu'elle recherche. Que peuvent dire les débauchés pour excuser leur dérèglement? Est-ce qu'il n'y a rien que d'honnête dans le plaisir? On demeure d'accord qu'il est quelquefois permis; mais quand il est défendu, il faut lui opposer la continence. Dieu n'a pas seulement défendu de jouir des personnes qui ont donné leur foi à un autre et qui sont engagées dans le mariage, mais aussi de celles qui n'étant point dans cet engagement, s'abandonnent à l'impudicité publique. Il nous enseigne que, quand deux corps sont joints ensemble, ils n'en font plus qu'un. Quiconque se plonge dans la boue, se salit. Ceux qui se sont salis de la sorte peuvent se laver bientôt après. Mais ceux qui ont souillé leur conscience par l'attouchement d'une débauchée ne peuvent effacer cette souillure qu'en beaucoup de temps et par un grand nombre de bonnes œuvres. Chacun doit rappeler souvent cette pensée dans son esprit que Dieu n'a établi la distinction des sexes que pour la conservation de la nature, et que l'union n'en est permise que pour la génération légitime des enfants. Comme il ne nous a pas donné les yeux afin que nous prissions plaisir à regarder ce qu'il y a de beau et d'agréable ici-bas, mais afin que nous vissions tout ce qu'il est nécessaire de voir pour l'usage et pour la commodité de la vie, il ne nous a pas donné les parties naturelles pour remplir les désirs d'une insatiable brutalité, mais pour mettre des enfants au monde. C'est une loi à laquelle faut obéir avec une profonde soumission. Tous ceux qui font profession de servir Dieu doivent se rendre maîtres de leurs passions; car ceux qui s'abandonnent au plaisir et qui à assujettissent leur esprit aux sens, se condamnent à la mort, puisque c'est sur les sens et sur le corps que la mort exerce sa puissance. Chacun doit conserver avec un soin particulier la pudeur et la chasteté, et ne suivre pas seulement en cela les lois des hommes, mais s'élever au-dessus d'elles en observant exactement celle de Dieu. Quand il aura fait une fois habitude de cette vertu, il aura honte des moindres désordres, et trouvera plus de satisfaction dans la privation des plaisirs, que les débauchés n'en trouvent dans la jouissance.
Ce ne sont pas là tous les devoirs de la chasteté : il y en a quelques autres ; Dieu a renfermé la fidélité conjugale dans l'étendue du lit nuptial. Il ordonne que celui qui a une femme lui garde la foi qu'il lui a promise, sans pouvoir en avoir une autre, soit libre, soit esclave : la loi de Dieu n'est point semblable à celle des homme? Si le droit romain ne déclare adultère que la femme qui connaît un autre homme que son mari, et qu'il exempte de ce crime un homme qui a plusieurs femmes outre la sienne, l'Évangile ne met point de distinction à cet égard entre l'homme et la femme, et tient coupable celui qui jouit d'une autre que de celle qu'il a épousée. C'est pour ce sujet que Dieu a voulu qu'au lieu que, parmi les animaux, les femelles ne souffrent plus le mâle après qu'elles ont conçu, les femmes le souffrent toujours ; car peut-être que si les femmes refusaient à leurs maris ce qu'ils désirent, ils le chercheraient dans la compagnie d'une autre, et violeraient la fidélité du mariage.
Les femmes ne conserveraient pas elles-mêmes la gloire de la chasteté s'il n'était en leur pouvoir de la perdre. Quand une bête refuse de souffrir le mâle après qu'elle a une fois conçu, on ne dit pas que ce soit en elle une marque de continence; elle ne refuse de le souffrir que parce que si elle le souffrait, elle en sentirait de la douleur ou encourrait du danger. On ne mérite pas d'être loué pour n'avoir pas fait ce qu'où n'a pu faire. On loue la continence dans l'homme, parce qu'elle ne lui est pas naturelle, et qu'elle dépend de sa liberté. Le mari et la femme doivent la garder également, et le mari doit donner à la femme l'exemple de la fidélité qu'il exige d'elle. S'il l'exige sans la garder, il est injuste, et c'est de cette injustice que sont venus les adultères, lorsque les femmes ont cessé d'être fidèles à des hommes qui n'avaient plus pour elles d'amour ni de tendresse. Les plus effrontées usent de cette excuse dans leurs débauches, et disent qu'en manquant de fidélité à leurs maris, elles ne leur font point d'injure, mais qu'elles repoussent celle qu'elles ont reçue. Quintilien a excellemment exprimé cette pensée : « Celui, dit-il, qui ne s'abstient pas de la femme d'un autre, ne gardera pas aisément la sienne. Il ne verra pas le désordre de sa maison pendant qu'il tâchera de le porter dans celle de son voisin. Une femme à qui ce malheur arrive se laisse aisément corrompre par l'exemple, et quand elle a manqué à la foi, elle croit avoir une excuse, de dire ou qu'elle a imité son mari, ou qu'elle s'est vengée de sa perfidie. »
Il faut prendre garde que notre incontinence ne soit l'occasion de celle d'un autre. Il faut que le mari et la femme se rendent réciproquement la fidélité qu'ils se doivent, et qu'ils portent également le même joug auquel ils se sont soumis. Traitons les autres de la même manière que nous voulons être traités, et ne faisons jamais à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît.
Voilà les obligations que nous impose le précepte de la continence. Ajoutons-y néanmoins encore quelque chose pour ne pas le renfermer dans des bornes trop étroites. Les personnes mariées se doivent conduire de telle sorte, que jamais elles ne se tendent aucun piège. Quiconque épouse une femme qui a été répudiée par son mari commet un adultère, et quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet aussi un adultère, si ce n'est qu'elle l'ait commis la première. Dieu ne veut point que ceux qu'il a unis et qui ne font qu'un seul corps se séparent. Il ne défend pas seulement l'adultère, il en défend la pensée et le regard accompagné d'un mauvais désir. La seule image du plaisir suffit pour rendre l'âme coupable: c'est l'âme qui commet le péché et qui en est souillée. Ce n'est pas être chaste que de conserver la pureté du corps et perdre celle de l'âme. Que personne ne s'imagine qu'il soit difficile de garder la continence et de résister à la volupté : c'est une ennemie que tout le monde est obligé de combattre et sur laquelle plusieurs remportent la victoire. Ce n'est pas que Dieu impose la nécessité de se priver absolument des plaisirs du corps ; ils sont permis dans le mariage, et l'usage en est nécessaire pour la multiplication des hommes. On sait combien les mouvements de cette passion sont violents. Mais quiconque les pourra réprimer en aura une plus grande gloire, et remportera une récompense qui n'est due qu'à la plus éminente vertu. Dieu reconnaîtra pour son serviteur et pour son disciple celui qui aura eu le courage et la force de la pratiquer ; il le fera triompher de la terre, et l'élèvera au ciel. Je demeure d'accord que cela paraît difficile; mais je parle aussi des personnes qui ont assez de générosité pour fouler aux pieds les plaisirs terrestres et pour en chercher d'incorruptibles. La vertu consistant dans la connaissance de Dieu, pendant que l'on est privé de cette connaissance, les peuples paraissent pesants, au lieu qu'après cela ils deviennent fort légers. Ceux qui aspirent comme nous à la perfection, y doivent arriver au travers des plus fâcheuses difficultés.
