V.
Combien est-il plus juste et plus raisonnable de renoncer au culte de toutes les choses insensibles, et de tourner les yeux du côté où est le palais et le trône du véritable Dieu, qui a affermi la terre sur des fondements inébranlables, qui a attaché les astres au firmament, qui a donné la lumière au soleil, afin qu'elle fût une image de la majesté invisible, qui a répandu la mer autour de la terre, qui a donné aux fleuves un mouvement perpétuel :
Qui a étendu les campagnes, qui a élevé les montagnes qui a abaissé les vallées, et qui a revêtu d'arbres les forêts.
C'est un principe dont il ne faut point chercher le commencement, parce qu'il n'en a point et qu'on ne le saurait trouver. L'homme se doit contenter de savoir qu'il y a un Dieu, de l'honorer comme le père du genre humain et comme l’auteur des merveilles de l'univers. Quelques-uns ont été assez grossiers et assez stupides pour adorer les éléments, bien qu'ils aient été créés et qu'ils soient privés de sentiment. Quand ils ont considéré le ciel avec les astres, la terre avec les plaines et les montagnes, la mer avec les rivières et les étangs, ils ont été surpris d'une si grande admiration, qu'ils ont oublié l'ouvrier pour ne révérer que les ouvrages. Ils n'ont pu comprendre combien il est élevé au-dessus des choses qu'il a tirées du néant, qu'il tient soumises à ses ordres, et qu'il fait servir aux besoins et aux commodités de l'homme. Ils se rendent sans doute coupables de la plus criminelle de toutes les ingratitudes, quand, au lieu de conserver la mémoire des bienfaits qu'ils ont reçus de la bonté de Dieu, ils prennent les créatures pour des dieux, et les préfèrent à lui. Mais faut-il s'étonner que des ignorants soient tombés dans cette erreur, puisque les stoïciens sont persuadés que les astres doivent être mis au rang des dieux ? Lucilius, philosophe stoïcien, en parle dans Cicéron en ces termes: « Je ne saurais concevoir que les étoiles aient un mouvement si juste et si égal, ni qu'elles règlent comme elles le font par leur cours la diversité des saisons dans la suite de tous les siècles, si elles n'avaient une âme, une intelligence et une raison. Que si elles en ont une, nous ne saurions refuser de les mettre au rang des dieux. » Il avait dit un peu auparavant: « Le mouvement des astres doit être volontaire ; ce qui étant, on ne saurait nier non seulement sans ignorance, mais encore sans impiété, qu'ils ne soient des dieux. » Nous le nions cependant très fortement, et nous faisons voir très clairement que vous autres, qui prétendez être philosophes, n'êtes non seulement que des ignorants et des impies, mais encore que des aveugles et des insensés, et que vous allez au delà de la stupidité des peuples : car vous communiquez indifféremment les honneurs divins à tous les astres, au lieu que le peuple ne les a déférés qu'à la lune et au soleil. Découvrez-nous donc le secret de la religion des étoiles, et nous enseignez la manière dont nous devons bâtir des temples et élever des autels à chacune; en quel jour nous les devons révérer, sous quel nom, avec quelles cérémonies, par quelle prière nous les devons célébrer, ou s'il est plus à propos de les prier toutes en commun ou en général. L'argument dont ils se servent pour prouver que les étoiles sont des dieux, peut servir à prouver tout le contraire. C'est une erreur de prendre l'égalité de leur mouvement et de leur cours, pour une preuve de leur divinité. Au contraire si elles étaient des dieux, leur mouvement dépendrait de leur volonté, et elles paraîtraient où il leur plairait dans le ciel, comme les animaux vont où il leur plaît sur la terre. Le mouvement des astres n'est donc pas volontaire, mais nécessaire, parce qu'ils suivent la loi qui leur est imposée. Mais ce philosophe ayant reconnu, par l'ordre si réglé des saisons, que le cours des astres ne peut être un effet du hasard, il a cru qu'il dépendait d'une volonté libre, comme si les astres ne pouvaient avoir un cours si juste et si réglé, sans avoir la connaissance de l'utilité des secours et des avantages qu'en tirent les créatures inférieures. Que la vérité est difficile et obscure à ceux qui l'ignorent, mais qu'elle est aisée et claire à ceux qui la connaissent! « Si le mouvement des astres, disent ces philosophes, ne dépend pas du hasard, il dépend du libre arbitre. » Au contraire, il est aussi clair qu'il ne dépend pas du libre arbitre, qu'il est clair qu'il ne dépend pas du hasard. Comment donc se peut-il faire que leur cours soit si réglé? C'est que Dieu qui a créé l'univers, les a disposés de telle sorte, qu'en faisant le tour du ciel ils mesurent le temps et règlent les saisons. Archimède a pu inventer une sphère de cuivre où il a mis un soleil et une lune, qui imitent la marche des astres eux-mêmes et qui représentent des jours ; il a pu marquer dans ce globe artificiel les changements de la lune, l'inégalité du cours des planètes ou des étoiles fixes, et Dieu n'aura pu faire le véritable modèle de ce globe ! Un stoïcien, voyant la sphère d'Archimède, aurait-il dit que ces figures du soleil, de la lune et des étoiles se remuaient par un effet de leur volonté ou par celui des machines qu'un mathématicien avait inventées? Il y a une raison et une intelligence qui règle le cours des astres, mais c'est la raison et l'intelligence de Dieu qui a créé toutes choses et qui les gouverne, et non pas ces astres mêmes. Si Dieu avait voulu que le soleil fût demeuré immobile, il y aurait eu un jour perpétuel dans les lieux qui avaient été éclaires de sa lumière; si les autres astres étaient immobiles, il est certain aussi qu'ils n'auraient point reçu d'autre clarté que celle qu'ils répandent. Mais Dieu leur a imprimé un mouvement accompagné d'une si merveilleuse diversité, que non seulement il fait succéder tour à tour le jour à la nuit, dont l'un est destiné au travail et l'autre au repos, mais qu'il partage aussi le froid et le chaud entre les saisons, avec la justesse qui est nécessaire pour produire les fruits et les grains et pour leur donner une juste maturité. L'ignorance où les philosophes ont été de la sagesse admirable avec laquelle la puissance divine a réglé le cours des astres, les a portés à croire que ces astres étaient comme les animaux qui ont eux-mêmes le mouvement. Il n'y a cependant personne qui ne reconnaisse que Dieu a placé les astres dans le ciel, et leur a assigné la route qu'ils tiennent, de peur que quand le soleil disparait, la terre ne soit couverte d'une très grande obscurité. Voilà pourquoi il a attaché au firmament une multitude si prodigieuse d'étoiles, dont la lumière dissipe une partie des ténèbres de la nuit. Ovide en a jugé plus sagement que ces hommes qui font profession de l'étude de la sagesse, quand, dans un petit livre où il décrit les phénomènes, il assure que, quelque merveilleuse que soit ou la multitude ou la diversité des astres, il n'y en a aucun que Dieu n'ait placé dans le ciel, et qu'il n'ait destiné à répandre quelque lumière sur la terre et à diriger une partie de l'obscurité de la nuit. Que s'il n'est pas possible que les étoiles soient des dieux, il n'y a pas plus de raison d'y mettre le soleil ou la lune, puisqu'ils diffèrent des autres astres, non par l'intelligence, mais par la grandeur; et si ce ne sont pas des dieux, encore moins le ciel qui ne fait que les renfermer tous.
