IX.
Pour ne rien laisser d'obscur sans l'éclaircir, je ferai voir que les prodiges et les songes dont j'ai parlé n'étaient que des illusions dont le démon s'est servi pour tromper les hommes, et pour les éloigner de la vérité. Mais je reprendrai les choses de plus haut, afin que ceux qui ne sont pas instruits de cette matière puissent apprendre d'où procède le désordre, et reconnaître le principe de leur erreur et la cause de l'égarement général des hommes. Dieu ayant une sagesse infinie pour former ses desseins et une puissance égale à sa sagesse pour les exécuter, avant de commencer le grand ouvrage de l'univers, fit le bien et le mal. J'expliquerai ceci le plus clairement qu'il me sera possible, de peur qu'on ne s'imagine que je veuille imiter les poètes qui revêtent de figures sensibles les choses les plus spirituelles. Comme il n'y avait rien que lui, et qu'il était, comme il l'est encore, l'unique principe de tous les biens, il produisit un esprit semblable à lui, un fils qui avait une puissance égale à la sienne. Je tâcherai d'expliquer dans le quatrième livre de cet ouvrage ce qui le porta à vouloir produire cet esprit. Il en produisit ensuite un autre qui ne conserva pas la sainteté de la nature divine et qui, ayant été corrompu par l'envie comme par un poison, passa du bien au mal, et prit, par un effet de sa liberté, un nom contraire A celui qu'il avait reçu. Cela montre que l'envie est la source de tous les péchés. Il porta envie à celui qui avait été produit avant lui, et qui étant demeuré uni à son père, est toujours chéri de lui. Cet esprit, qui de bon qu'il avait été créé est devenu méchant, est appelé diable par les Grecs et délateur par les Romains, parce qu'il défère à Dieu les crimes où il fait tomber les hommes. J'expliquerai, autant que mon peu de talent le pourra permettre, les raisons pour lesquelles Dieu, qui n'agit jamais qu'avec une parfaite justice, a voulu qu'il ait été tel qu'il est. Dieu ayant résolu de faire le monde, il commença à produire ce fils unique pareil à lui-même. Il lui commit le soin de tout ce grand ouvrage, et il l'établit comme conciliateur, et en même temps et conjointement avec lui comme principal inventeur de ce grand ouvrage qu'il projetait, afin qu'il pût l'orner et le perfectionner entièrement, parce qu'il est lui-même la perfection en tout ce qui est conception, raison et puissance. Nous en parlerons très peu à présent, parce que nous rapporterons dans un autre endroit et sa vertu, et son nom, et ses autres attributs. Qu'on ne nous demande donc point de quelle manière il s'est servi pour faire un ouvrage si grand et si merveilleux, car il a fait tout de rien. Il ne faut point ajouter foi à ce que les poètes avancent, qu'il y avait au commencement un chaos et une confusion étrange des éléments, et que quand Dieu fit le monde, il ne fit rien autre chose que d'en ôter la confusion et d'en mettre les parties en ordre. Mais il est aisé de leur répondre : qu'ils connaissent fort peu l'étendue de la puissance divine, quand ils se persuadent qu'elle a besoin d'une matière pour agir. Les philosophes ont soutenu la même erreur, et Cicéron l'a expliquée dans les livres de la Nature des Dieux, quand il dit : « Il n'est pas probable que la matière d'où toutes les choses ont été tirées soit un ouvrage de la Providence. Il y a plus d'apparence de croire qu'elle a toujours conservé et qu'elle conserve encore sa nature et sa force. La providence divine n'a point fait la matière. Elle s'est servie de celle qu'elle a trouvée, comme un artisan se sert du bois ou de la cire qu'il ne saurait faire. Que si Dieu n'a pas créé la matière, il n'a pas créé non plus la terre, l'eau, l'air ni le feu. » Quel prodigieux amas d'erreurs en si peu de lignes ! C'est premièrement une chose étrange de voir que Cicéron, qui avait toujours soutenu la Providence dans ses autres ouvrages, et qui s'était fortement opposé à ceux qui avaient entrepris de la combattre, l'ait tout d'un coup trahie et abandonnée. Si quelqu'un voulait contester la vérité de ce fait, il ne serait pas nécessaire d'employer beaucoup de raisons pour le convaincre. Il n'y aurait qu'à lire les propres paroles de Cicéron ; car on ne saurait jamais mieux le réfuter que par lui-même. Mais quand on lui laisserait la liberté que les académiciens prétendent avoir de soutenir et de dire tout ce qui leur plaît, cela n'empêche pas que nous n'examinions ses sentiments et ses paroles. ! Il n'est pas probable, dit-il, que Dieu ait fait la matière. « Comment le prouvez-vous ? car vous n'avez rien allégué qui fasse voir que cela n'est pas probable. Je dis au contraire que cela est probable, et je le dis avec raison, attendu que Dieu ne doit pas être réduit à la condition d'un artisan, qui n'a rien dans son ouvrage que la façon. Quel avantage aurait la puissance de Dieu sur la faiblesse de l'homme s'il avait besoin de quelque chose ? il en aurait besoin, s'il ne pouvait rien faire sans qu'on lui eût fourni une matière. S'il attendait qu'on lui fournît cette matière, son pouvoir serait limité, et celui qui la lui fournirait serait en ce point plus puissant que lui. Quel nom donnerions-nous à celui qui serait plus puissant que Dieu et qui pourrait faire quelque chose de lui-même, au lieu que Dieu ne pourrait que travailler sur le sujet qu'il aurait reçu d'un autre? Que s'il est impossible qu'il y ait aucun être plus puissant que Dieu, puisqu'il est infiniment parfait, il faut avouer que la matière n'est pas moins son ouvrage que les autres choses qui sont composées de matière. Rien n'a pu recevoir l'être sans l'agrément de Dieu. Rien n'a pu être fait qu'il ne l'ait ; bien voulu faire. « Mais il est probable, dites-vous, que la matière dont toutes choses ont été tirées a toujours conservé sa force et sa nature, et qu'elle la conserve encore. » Quelle force et quelle nature peut-elle avoir si elle ne l'a reçue, et de qui peut-elle l'avoir reçue que de Dieu ? Si elle a reçu la nature, elle est née ; car c'est de là même que vient le mot nature. Comment a-t-elle pu naître, si ce n'est que Dieu l'ait produite? cette nature, d'où vous prétendez que toutes choses ont été tirées, ne les a pu produire, à moins qu'elle n'ait l'intelligence et la raison. Que si elle a l'intelligence et la raison, c'est-à-dire la sagesse pour former le dessein de ses ouvrages et le pouvoir de les achever, elle est Dieu. C'est pour cela que Sénèque, le plus subtil des stoïciens, a fort bien jugé que la nature n'est rien autre chose que Dieu même. « Pourquoi, dit-il, ne louerions-nous pas Dieu à qui la puissance est naturelle, puisqu'il ne l'a reçue d'aucun autre ? Nous le louerons sans doute, parce qu'il tient de soi cette puissance qui lui est naturelle, et qu'il est lui-même la nature. » Quand vous attribuez à la nature le pouvoir de produire que vous ôtez à Dieu, vous vous engagez dans l'erreur plus avant que vous n'y étiez, et vous ressemblez à ceux qui, pour payer de vieilles dettes, en font de nouvelles. Dans le temps même que vous niez que Dieu ait fait le monde, vous confessez qu'il l'a fait. Sénèque fait après cela une comparaison fort ridicule. « Dieu, dit-il, a besoin d'un sujet sur lequel il travaille, comme un artisan a besoin de bois ou de cire, et Dieu ne crée non plus ce sujet que l'artisan ne crée la cire ni le bois. » Au contraire, il n'en a pas besoin; et s'il en avait besoin son pouvoir en serait moindre. Un artisan ne fera jamais rien s'il n'a une matière comme du bois, et il ne saurait créer ce bois parce qu'il est faible. Dieu, au contraire, crée la matière sur laquelle il travaille, parce que sa puissance est infinie. L'homme ne saurait travailler s'il n'a un sujet sur lequel il travaille, parce que la condition mortelle le rend faible, et que sa faiblesse met des bornes fort étroites à son pouvoir. Mais Dieu fait ce qu'il lui plait sans avoir besoin de sujet, parce que son éternité fait sa force, et que sa force lui donne un pouvoir aussi infini que sa vie. Faut-il donc s'étonner que Dieu, ayant dessein de faire le monde, en ait premièrement préparé la matière, et qu'il l'ait tirée du néant. Il fallait nécessairement qu'il en usât de la sorte, puisqu'il ne peut rien emprunter, et qu'il est le principe qui renferme et qui produit tous les biens. S'il y avait quelque chose avant lui, ou qui eût l'être indépendamment de lui, il n'aurait plus le pouvoir, ni même le nom de Dieu. « Mais la matière, dit-on, n'a jamais été faite, et elle a cet avantage particulier, qui ne lui est commun qu'avec Dieu, qui, de cette matière, a fait le monde. Il faudrait pour cela admettre deux êtres qui, étant également éternels, seraient tellement contraires entre eux, que leur combat et leur guerre ne pourrait être terminée que par la défaite et par la ruine de l'un ou de l'autre. S'ils sont contraires, il faut qu'ils se combattent l'un l'autre. S'ils se combattent, l'un des deux remportera la victoire. Ainsi il est clair qu'il n'y a qu'un être éternel, et qui est comme la source d'où sont sortis les autres. Il faut donc ou que Dieu soit sorti de la matière, ou que la matière soit sortie de Dieu. Il est aisé de reconnaître lequel des deux est sorti de l'autre : l'un a du sentiment, au lieu que l'autre n'en a point. Le pouvoir d'agir ne se trouve qu'où se trouve le sentiment, le mouvement, la pensée et l'intelligence. On ne saurait rien entreprendre, rien commencer, rien achever que l'on n'en ait formé le dessein par la raison, que l'on n'en ait résolu l'exécution par sa volonté, et qu'enfin on n'ait mis la main à l'œuvre. Or, ce qui n'a point de sentiment ne met point la main à l'œuvre, et ce qui n'a point de mouvement ne produit aucune chose. Bien qu'il n'y ait point d'animal qui n'ait la raison, il n'y en a point qui puisse procurer aucune des choses qui n'ont point la raison. Enfin on ne saurait rien trouver, ni rien prendre dans un lieu qu'il n'y soit auparavant. Personne ne doit douter de la vérité de ce que je dis, sous prétexte que l'on voit des animaux qui naissent de la terre. Ce n'est pas la terre qui les produit, c'est l'esprit de Dieu, sans lequel rien ne se produit dans le monde. Dieu n'est donc pas sorti de la matière, parce que ce qui a du sentiment ne saurait sortir de ce qui n'a point de sentiment. Ce qui a de la raison, ne saurait sortir de ce qui n'a point de raison. Ce qui est impossible ne saurait sortir de ce qui est possible. Ce qui est spirituel ne saurait sortir de ce qui est corporel. La matière est plutôt sortie de Dieu, car ce qui est solide, dur, et peu maniable, reçoit sa force du dehors. Ce qui reçoit sa force du dehors se peut dissoudre. Ce qui se peut dissoudre, finit. Ce qui finit a eu un commencement et un principe, c'est-à-dire un auteur qui a du sentiment, de la prévoyance, de la sagesse, et cet auteur-là est Dieu. Comme il a le sentiment, la raison, la prévoyance, la puissance et la sagesse, il peut faire des créatures animées et inanimées, et il sait de quelle manière il faut les faire. La matière ne peut avoir toujours été, parce que si elle avait toujours été, elle ne serait pas sujette au changement. Ce qui a toujours été ne cesse jamais d'être ; et comme il n'a point eu de commencement, il n'a point aussi de fin. Il arrive même plus aisément que ce qui a eu un commencement n'ait point de fin, qu'il n'arrive que ce qui n'a point eu de commencement en ait une. Rien n'aurait pu être fait de la matière, si elle n'avait pas été faite elle-même, et si rien n'en avait pu être fait, elle ne serait pas matière; car la matière n'est que ce dont on fait quelque chose. Ce dont on fait quelque chose est changé et détruit par la main de l'ouvrier, et cesse d'être ce qu'il était pour commencer d'être ce qu'il n'était pas. Si la matière a cessé d'être ce qu'elle était auparavant, lorsque le monde a été fait d'elle, et si elle a eu une fin, elle avait donc eu un commencement. Ce qui est détruit a été autrefois élevé. Ce qui est délié a été autrefois lié. Ce qui finit a commencé. Si de ce que la matière est sujette au changement et de ce qu'elle cesse d'être ce qu'elle était auparavant, on conclut bien qu'elle a eu un commencement et un principe, quel peut être ce principe-la, si ce n'est Dieu même? Il n'y a que lui seul qui n'ait pas été fait. Il peut tout anéantir, et ne peut être anéanti. Il sera toujours ce qu'il a toujours été. Il n'a point été engendré. Il n'a point reçu la naissance d'un autre. Son être étant indépendant, il est aussi immuable. Il subsiste par lui-même, et ainsi il est tel qu'il a voulu être, impassible, immuable, incorruptible, heureux, éternel. La conclusion par laquelle Cicéron a terminé son discours est encore plus absurde. « Si Dieu, dit-il, n'a pas fait la matière, il n'a pas fait non plus la terre, l'eau, l'air ni le feu. » Qu'il évite adroitement la difficulté ! Il suppose la première proposition, comme si elle n'avait point besoin d'être prouvée, bien qu'elle soit moins certaine que celle qu'il prétend prouver par elle. « Si Dieu, dit-il, n'a pas fait la matière, il n'a pas non plus fait le monde. » Il a mieux aimé tirer une fausse conclusion d'un faux principe, que d'en tirer une véritable d'un véritable. Au lieu de prouver ce qui est incertain par ce qui est certain, il a choisi ce qui est incertain pour combattre ce qui est certain. Car pour ne parler ni de Trismégiste, qui déclare que l'univers est l'ouvrage de la divine providence, ni des sibylles dont les vers contiennent le même oracle, ni des prophètes que l'esprit de Dieu a animés pour publier la même vérité, presque tous les philosophes, les chefs des principales sectes, les pythagoriciens, les stoïciens et les péripatéticiens en conviennent. Enfin on n'en avait jamais douté, ni dans les premiers temps, ni au siècle de Socrate et de Platon, jusqu'avec qu'Épicure, qui n'est venu qu'après une longue suite d'années, ait eu la témérité, par un désir déréglé d'avancer des nouveautés et de se faire chef de secte, de révoquer en doute ce qui avait presque jusque alors été évident et manifeste. N'ayant pu rien découvrir de nouveau, et n'ayant pas voulu paraître du même sentiment que les autres, il a entrepris d'ébranler ce qui était le plus solidement établi sur le témoignage de toute l'antiquité, en quoi il a excité l'indignation de toutes les sectes. Il est donc certain que le monde est l'ouvrage de Dieu et non de la matière. Au lieu de se persuader que Dieu n'a pas fait le monde parce qu'il n'a pas fait la matière, il faut croire qu'il a fait la matière, parce qu'il a fait le monde. Il est plus croyable que Dieu a fait la matière parce qu'il peut tout, qu'il n'est croyable qu'il n'a pas fait le monde, sous prétexte que rien ne se peut faire sans conseil, sans raison et sans esprit. Mais cette faute est moins particulière à Cicéron qu'à sa secte; car comme il avait entrepris de discourir sur la nature des dieux, l'ignorance de la vérité l'a engagé à soutenir qu'il n'y en avait aucun. Il pouvait nier l'existence des dieux, parce qu'en effet il n'y a point de dieux. Mais quand il a entrepris de combattre la providence d'un seul dieu, il s'est trouvé sans forces et sans preuves, et il est tombé dans un abîme d'où il ne saurait se retirer. Il s'y tient attaché. Lucilius qu'il a introduit perd la parole. C'est ici la plus importante question ; c'est le point d'où dépend le reste. Que Cotta se tire comme il pourra des embarras, et qu'il fasse voir qu'il y a toujours eu une matière indépendante de la divine providence ; qu'il montre comment un corps solide et pesant a pu être sans avoir été créé, et comment il a pu être changé de telle sorte qu'il ait cessé d'être ce qu'il était, pour devenir ce qu'il n'était pas : quand il aura prouvé tout cela, je demeurerai d'accord que le monde n'est pas l'ouvrage de la divine providence, et ne laisserai pas de le tenir enveloppé dans un filet, d'où il ne pourra s'échapper ; car il sera obligé d’avouer, malgré tous ses efforts, que le monde et la matière d'où il a été tiré existent par la force de la nature. Or je prétends que la nature n'est autre chose que Dieu même; car rien ne peut produire des ouvrages tout à fait admirables, s'il n'a la sagesse, la prévoyance et la puissance. Ainsi il est clair que Dieu a fait toutes choses, et qu'il n'y a rien qui ne tire de lui son origine. Quand Cicéron veut suivre les sentiments d'Épicure et soutenir que Dieu n'a pas fait le monde, il demande s'il a des mains, et de quelle machine il s'est servi pour construire un si précieux édifice. Il aurait peut-être vu de quelles machines Dieu s'est servi pour achever son ouvrage, s'il eût vécu en ce temps-là. Mais Dieu n'a pas jugé à propos de mettre l'homme dans le monde avant que le monde fût achevé, de peur qu'il ne le vît travailler à son ouvrage. Il ne pouvait même être mis dans le monde avant qu'il fût achevé: car comment y aurait-il subsisté pendant que Dieu étendait le ciel, qu'il affermissait les fondements de la terre, pendant que l'une était peut-être glacée par la rigueur du froid ou bouillante par l'excès de la chaleur, avant que le soleil eût répandu sa lumière, que la terre eût produit des fruits et que les animaux fussent nés? Dieu ne devait donc créer l'homme qu'après avoir mis la dernière main au reste de ses ouvrages. Enfin, l'Ecriture témoigne qu'il fut créé le dernier, et qu'il fut placé dans le monde comme dans un palais qui avait été bâti et préparé exprès pour le recevoir. Les poètes en demeurent d'accord; et après qu'Ovide a décrit la construction de l'univers et la production des animaux, il ajoute:
« Comme il manquait encore à l'univers une créature pourvue d'un esprit éclairé et pénétrant, qui eût en elle-même quelque chose de saint et de sacré, et qui fût capable de commander à celles qui avaient déjà été faites, l'homme fut produit. »
Il n'est pas permis de pénétrer ce que Dieu a voulu nous tenir secret. Cicéron n'entreprenait pas aussi de le pénétrer à dessein de s'instruire, mais à dessein de réfuter l'opinion contraire à la sienne, et sous ce seul prétexte que personne ne s'est trouvé au commencement des choses. Est-ce une preuve que Dieu n'a pas fait le monde, de dire qu'il n'y a point d'homme qui l'ait vu travailler à cet ouvrage? Si vous aviez été élevé dans une maison bien bâtie et bien parée, sans avoir vu travailler à la bâtir et à la parer, vous croiriez sans doute qu'elle n'aurait pas été bâtie par des hommes, et vous demanderiez de quels instruments ils se seraient servis pour faire un si grand ouvrage, pour tailler et pour placer de si grosses pierres, pour élever de si hautes colonnes; vous jugeriez sans doute que la construction d'un si superbe édifice serait au-dessus de la force des hommes, parce que vous ne sauriez pas que la force y contribue moins que l'adresse. Que si l’homme, bien qu'il n'ait aucun avantage qui soit tellement parfait qu'il n'y manque quelque chose, ne laisse pas de faire par son industrie des ouvrages qui semblent être au-dessus de sa nature, quelle raison y a-t-il de douter que Dieu, qui est souverainement parfait et qui a une sagesse et une puissance infinies, ait pu produire le monde? Ses ouvrages sont exposés à la vue. Mais la manière dont il les a faits est incompréhensible. Ce qui est mortel ne peut, comme dit Trismégiste, s'approcher de ce qui est immortel, c'est-à-dire il ne le peut comprendre. Ce qui est périssable ne peut s'approcher de ce qui est éternel. Ce qui est corruptible ne peut s'approcher de ce qui est incorruptible. Une créature aussi terrestre que l'homme ne saurait pénétrer parfaitement les choses célestes. Son corps est comme une prison qui le relient, et qui l'empêche d'user de ses forces et de son esprit. Que ceux qui recherchent ce que l'on ne saurait trouver, reconnaissent combien leur occupation est vaine. C'est passer les bornes de notre nature ! ignorer jusqu'où se peuvent étendre nos connaissances. Quand Dieu a révélé la vérité à l'homme, il lui a découvert tout ce qu'il avait intérêt de savoir pour son salut, et lui a caché ce qui n'aurait servi qu'à entretenir une curiosité profane. Pourquoi donc cherchez-vous ce que vous ne sauriez trouver, et pourquoi voulez-vous savoir ce dont la connaissance ne contribuerait en rien à vous rendre heureux? L'homme sera assez savant, quand il saura qu'il y a un Dieu, et que ce Dieu a fait toutes choses.
