XIII.
Dieu ayant fait l'homme à son image fit ensuite la femme à l'image de l'homme, afin qu'ils pussent mettre des enfants au monde et avoir une postérité qui se multipliât de telle sorte qu'elle remplît toute la terre. Pour faire l'homme, il se servit du feu et de l'eau, de ces deux matières que nous avons dit être si contraires. Dès que le corps fut achevé, il l'anima par le souffle de son esprit et par la communication de sa vie éternelle. Ainsi l'homme est un petit monde formé par le mélange d'aliments contraires et composé d'âme et de corps, dont l'une ressemble au ciel et l'autre à la terre. L'âme qui nous fait vivre est descendue du ciel et nous est communiquée par l’effusion de l'esprit de Dieu, et le corps a été tiré de la terre et formé de limon. Empédocle, que l'on ne sait en quel rang on doit mettre, ou en celui des poètes, ou en celui des philosophes, parce qu'il a écrit sur les choses naturelles en vers grecs, comme Varron et Lucrèce en ont écrit en vers latins, a admis quatre éléments, savoir : le feu, l'air, l'eau et la terre ; en quoi il a suivi Trismégiste qui avait dit avant lui que nos corps ne sont ni feu, ni air, ni terre, ni eau, mais un composé de toutes ces choses. Ce qui certainement est très vrai ; car la chair a quelque chose de la terre, le sang a quelque chose de l'eau, les esprits ont quelque chose de l'air, et la chaleur a quelque chose du feu. Le sang ne saurait pourtant être tout à fait séparé de notre corps comme l'eau peut l'être de la terre, ni la chaleur ne saurait être séparé des esprits vitaux comme le feu peut l'être de l'air. Ainsi il ne se trouve proprement que deux éléments qui aient contribué à la formation de nos corps. L'homme est donc composé aussi bien que le monde de contraires, de la lumière et des ténèbres, de la vie et de la mort. Dieu a voulu qu'il y eût entre ces contraires un combat perpétuel dans l'homme, afin que si l'âme qui est descendue du ciel remporte la victoire, elle soit immortelle et demeure toujours dans la région de la lumière, et que si au contraire elle est vaincue, elle demeure dans les ténèbres et dans la mort. L'effet de cette mort n'est pas de détruire l'essence de l'âme et de la réduire au néant ; ce n'est que de la châtier d'un châtiment qui n'aura point de fin. Nous appelons ce châtiment la seconde mort, qui est d'une éternelle durée aussi bien que l'âme. On définit la première mort de cette manière : la mort est la destruction de la nature des animaux, ou bien la mort est la séparation du corps et de l'âme. Voici comment on définit la seconde : la mort est la souffrance d'une douleur éternelle, ou bien la mort est la condamnation de l'âme à un supplice éternel et égal à ses crimes. Les bêtes ne sont pas sujettes à la seconde mort, parce que leurs âmes n'ont point été créées de Dieu, mais formées d'air et qu'elles finissent avec leurs corps. L'âme qui vient de Dieu et qui doit commander au corps tient la première place dans l'homme, qui est une image et un abrégé du monde ; et le corps qui vient du démon tient la dernière place, et parce qu'il est terrestre il doit être soumis à l'âme, comme la terre l'est au ciel : c'est en quelque sorte un vase où l'âme est renfermée comme une essence fort précieuse. Le devoir réciproque de ces deux parties, est que celle qui vient de Dieu et du ciel commande, et que celle qui vient du démon et de la terre obéisse. Cette vérité a été reconnue par Salluste lui-même, tout vicieux qu'il était. Voici ce qu'il en dit : « Toute notre force consiste dans l'esprit et dans le corps, l'esprit doit commander et le corps obéir. » Cela est fort bien dit, mais il devait vivre comme il a parlé. Cependant il s'est rendu l'esclave des plus sales voluptés et a démenti ses sentiments par le dérèglement de sa vie. Que si l'âme est un feu comme nous l'avons dit, elle doit tendre comme le feu vers le ciel et s'élever à l'immortalité. Mais comme le feu a besoin pour brûler et pour vivre d'une matière épaisse qui l'entretienne, ainsi l'âme pour vivre a besoin d'une nourriture qui est la justice. Quand Dieu eut fait l'homme de la manière que je l'ai décrit, il le plaça dans le paradis, c'est-à-dire dans un jardin très agréable et très fertile, assis en Orient et planté de toute espèce d'arbres dont les fruits devaient le nourrir et lui fournir une vie facile et sans autre soin que de servir Dieu. Dieu lui fit certains commandements, à condition que s'il les gardait il obtiendrait l'immortalité, et que s'il les violait il deviendrait sujet à la mort. Le principal commandement qu'il lui fit, fut de ne point manger du fruit d'un arbre qu'il avait planté au milieu du paradis, et auquel il avait attaché la connaissance du bien et du mal. Alors le calomniateur, animé par la jalousie qui lui donnait l'excellence de l'ouvrage de Dieu, employa tout ce qu'il avait de ruses et d'artifices pour tromper l'homme, et pour le priver de l'immortalité. Il persuada premièrement à la femme de goûter du fruit défendu, et se servit ensuite de la femme pour porter l'homme à violer le commandement. Dès que l'homme sut le bien et le mal, il eut honte de sa nudité, et tâcha de se cacher et de se dérober à la vue de Dieu, ce qu'il n'avait jamais fait jusque alors. Dieu le condamna à vivre de son travail, le chassa du paradis, entoura le paradis de feu de peur qu'il n'en approchât jusqu'à ce que Dieu juge la terre et jusqu'à ce qu'après avoir détruit la mort il rétablisse ses serviteurs dans ce lieu des saintes délices, comme l'Ecriture et la sibylle même le témoigne quand elle assure que ceux qui auront rendu à Dieu les honneurs et le culte qui lut sont dus, jouiront en récompense d'une vie éternelle dans un lieu délicieux. Mais comme cela n'arrivera qu'à la fin du monde, je n'en dois parler aussi qu'à la fin de mon ouvrage. Parlons maintenant de ce qui a précédé. L'homme est mort comme Dieu l'avait ordonné, et comme la sibylle le déclare quand elle rapporte la manière dont, après que l'homme eut été formé des mains de Dieu, il fut trompé par les ruses du serpent, et tomba dans la mort, au lieu d'arriver à la connaissance du bien et du mal. Ainsi la vie de l'homme devint limitée par le temps, quoique ce temps fût d'assez longue durée, et qu'il s'étendit jusqu'à mille ans. Ce fait dont l'Écriture fait mention est devenu si public que Varron, en ayant entendu parler, voulut rechercher la raison pour laquelle on a étendu jusqu'à mille ans la vie des premiers hommes, et dit que parmi les Égyptiens les mois tiennent lieu d'années. Mais son argument est évidemment faux ; car jamais personne n'a vécu plus de mille ans. Or ceux qui en vivent seulement cent, ce qui n'est pas rare, vivent douze cents mois. Mais parce que Varron ne savait ni le sujet pour lequel la vie des hommes fut accourcie, ni le temps auquel cela arriva, il l'a accourcie lui-même de la manière qui lui a paru la plus probable, sur ce qu'il savait que l'on peut vivre jusqu'à cent vingt ans qui valent quatorze cents mois.
