XII.
Quelques-uns assurent que la révolution du ciel et des astres a amené une saison propre à jeter la semence de toutes sortes d'animaux, que la terre, l'ayant reçue et l'ayant conservée, a produit comme certains petits étuis dont Lucrèce a dessein de parler, quand il a dit que le sein de la terre semblait s'enfler et s'ajuster aux racines des plantes et des arbres. Lorsque ces étuis sont venus à une juste maturité et qu'ils se sont rompus, il en est sorti quantité de petits animaux. La terre a été trempée en même temps d'une humeur semblable au lait, et qui leur a servi de nourriture. Comment ont-ils pu éviter ou supporter le froid et le chaud? Comment ont-ils pu naître pendant qu'ils étaient ou gelés par la glace ou brûlés par les ardeurs du soleil ? C'est, dit-on, qu'au commencement du monde, il n'y avait ni hiver ni été. C'était un printemps perpétuel et une température d'air toujours égale. Pourquoi ne jouissons-nous plus de cette agréable température? C'est qu'elle n'était nécessaire, explique-t-on, qu'au commencement du monde pour favoriser la naissance des animaux, mais depuis qu’ils sont venus à une juste grandeur et qu'ils ont eu la puissance d'engendrer leurs semblables, la terre a cessé d'en produire, et les saisons ont été réglées comme nous les voyons. Qu'il est aisé de détruire le mensonge! Premièrement, il n'y a rien dans le monde qui ne se conserve en l'état où il a été créé. Le soleil la lune et les astres avaient été créés avant ce temps-là. Ils avaient déjà un mouvement et un cours réglé par l'ordre de la divine providence. De plus, quand ce que prétendent ceux dont je parle serait vrai, ils retomberaient dans le mal qu'ils veulent éviter, et seraient contraints de reconnaître une providence. Il fallait en effet qu'il y eût une puissance intelligente qui, pour empêcher que la terre ne demeurât déserte, présidât à la naissance des animaux; qui préparât la terre pour la rendre propre à les produire d'elle-même, et à leur donner cette variété si merveilleuse de formes et de figures qui les distinguent. Il fallait sans doute un soin tout particulier pour faire en sorte que les animaux sortissent des étuis où ils étaient enfermés, et qu'à ce moment-là même ils reçussent la vie et le sentiment. Que s'ils ne l'ont reçu que par hasard, n'est-ce aussi que par hasard que la terre a fait couler comme une espèce de lait pour les nourrir, et que l'air est devenu doux et tempéré de peur de leur nuire ? Il est certain que cela n'est pas arrivé sans un soin particulier, et qu'il n'y a que Dieu qui l'ait pu prendre. Mais examinons s'il est probable que l'homme ait pu naître de la terre, comme l'on dit. Quiconque considérera avec attention la peine qu'il faut prendre, et le temps qu'il faut mettre à élever des enfants, reconnaîtra certainement qu'il aurait été impossible que des enfants nés de la terre eussent pu vivre sans que quelqu'un eût soin de les nourrir. Il aurait fallu qu'ils eussent été étendus sur la terre l'espace de plusieurs mois durant lesquels leurs nerfs étaient trop faibles pour les soutenir. Ils n'auraient eu presque point, de mouvement. Il n'y a personne qui ne juge fort bien qu'il est impossible qu'un enfant demeure plusieurs mois dans la même posture où il aurait été jeté au moment de sa naissance. Mais s'il était demeuré en cet état, les déjections ne se seraient-elles pas mêlées avec l'humeur que la terre aurait fait couler pour le nourrir, et si elles s'y étaient mêlées, ne l'auraient-elles pas étouffé? Il a donc fallu qu'il y ait eu quelqu'un qui ait eu le soin d'élever l'homme ; car personne ne s'est encore avisé de dire que les animaux ne sont pas nés faibles, mais qu’ils sont nés capables de se nourrir. Cette manière dont on explique la naissance des animaux est donc ridicule, vaine, dépourvue d'apparence et de raison. En effet, dire que les animaux sont nés d'eux-mêmes, sans que la Providence ait pris aucun soin de les produire, c'est combattre ouvertement la raison ; ainsi nier la Providence et combattre la raison sont la même chose. Il faut donc avouer que Dieu a fait l'homme comme il a fait toutes les autres créatures. Bien que Cicéron n'eut aucune connaissance des saintes Écritures, il n'a pas laissé de découvrir cette vérité et d'en parler de la même manière que les prophètes avaient fait avant lui. Je rapporterai ici ses paroles. « Cet animal, dit-il, si subtil, si pénétrant, si éclairé, qui se souvient du passé, qui connaît le présent, qui prévoit l'avenir, qui agit par raison et par conseil, et à qui l'on a donné le nom d'homme, a été produit d'une manière toute particulière par le souverain Seigneur de l'univers. Il n'y a que lui parmi tous les animaux qui ait l'avantage de penser et de discourir. » Voilà comment Cicéron, tout éloigné qu'il était de la vérité, a eu pourtant assez de lumières pour reconnaître que l'homme n'a pu être placé dans le monde que par un effet de la divine toute-puissance. Si ces témoignages ne suffisent pas, produisons-en de plus forts. La sibylle déclare que l'homme est l'ouvrage de Dieu quand elle dit : Dieu, qui a seul tiré le monde du néant pur un effet de sa puissance infinie, a pris aussi le soin de former le corps du premier homme et de lui inspirer l'âme et la vie. Les livres saints nous enseignent la même vérité. Dieu nous a donc rendu les véritables devoirs d'un père. Il a formé nos corps et répandu en eux la vie qui les anime. Ainsi, nous tenons de lui tout ce que nous sommes. S'il avait été à propos que nous connaissions de quelle manière il a achevé cet ouvrage, il nous l'aurait enseigné comme il nous a enseigné ce qui nous était nécessaire pour nous retirer de l'erreur et pour nous conduire à la vérité.
