XV.
Dieu, ne voulant pas permettre que le démon, à qui dès le commencement il avait donné un grand pouvoir sur toute l'étendue de la terre, corrompît ou dissipât les hommes qui commençaient à se multiplier, envoya ses anges pour les garder, et leur recommanda sur toutes choses de ne rien perdre de la pureté de leur nature par le commerce qu'ils entretiendraient ici-bas. Il leur défendit de faire ce qu'il savait bien qu'ils feraient, et il le leur défendit afin que quand ils l'auraient fait, il ne leur restât aucune excuse. Le prince du monde qui a quantité de moyens de tromper, les engagea peu à peu dans le crime et les souilla par l'habitude criminelle qu'il leur fit contracter avec des femmes Ces péchés leur ayant fermé l'entrée du ciel, ils tombèrent sur la terre, et au lieu d'anges et d'envoyés de Dieu qu'ils avaient été, ils devinrent les ministres et les esclaves du démon ; les enfants qui descendirent d'eux ne furent ni de la nature des anges ni de celle des hommes, mais d'une nature qui tient le milieu entre ces deux là. Aussi furent-ils exclus de l'enfer comme leurs pères l'avaient été du ciel. Ainsi il y eut deux espèces de démons : savoir, les démons du ciel et ceux de la terre. Ces derniers sont des esprits impurs qui sont cause de tout le mal qui se commet et qui obéissent au diable comme à leur prince. C'est pour cela que Trismégiste l'appelle Démoniarque c'est-à-dire prince des démons. Les grammairiens enseignent que le nom de démon vient de daïmôn, qui signifie savant, et ils croient que les démons sont des dieux, lis savent quelque chose de l'avenir, mais ils ne savent pas tout, car ils n'entrent pas au conseil de Dieu. C'est pour cela qu'ils ne font que des réponses ambiguës. Les poètes les ont connus et ont parlé d'eux. Voici ce qu'en dit Hésiode :
« Les démons ont été créés par la volonté de Jupiter pour être les gardiens des hommes. »
Hésiode a parlé de la sorte parce que les démons avaient été chargés de garder les hommes, et parce qu'ils veulent que l'on croie qu'ils les gardent, bien qu'au lieu de les garder ils les corrompent et se fassent adorer par eux. Les philosophes ont parlé d'eux fort au long. Platon a lâché d'expliquer leur nature. Socrate disait que dès sa jeunesse il avait toujours eu auprès de lui un démon par le conseil duquel il s'était conduit dans les actions les plus importantes de sa vie. La puissance et les effets de la magie dépendent d'eux. Quand ils sont évoqués par les cérémonies de cet art, ils enchantent de telle sorte les hommes par leurs illusions, qu'ils ne voient plus ce qui est devant eux et qu'ils s'imaginent voir ce qui n'y est pas. Ces esprits impurs sont errants et vagabonds sur toute la terre, et n'ont rien qui les console de leur chute, que la malheureuse satisfaction de faire tomber les hommes dans le même précipice. C'est pour cela qu'ils usent de tant d'artifices et de tant de ruses ; qu'ils dressent tant de pièges et tant d'embûches. Il n'y a personne à qui ils ne s'attachent pour cet effet, ni de maison dont ils ne s'emparent sous le nom de génie, qui signifie en latin la même chose que démon. On les consacre dans les maisons, on répand chaque jour du vin devant eux, on les révère comme des esprits remplis de science, comme des dieux terrestres, comme des génies qui détournent et éloignent k mal de nous, bien qu'en effet ils l'attirent et le procurent. Comme ce sont des êtres subtils et impalpables, ils s'insinuent dans les entrailles, y altèrent la santé, y excitent des maladies, troublent le repos par des songes affreux, ébranlent l'esprit par de furieux mouvements, et épouvantent si fort les plus hardis qu'ils les contraignent d'implorer leur protection.
