XIV.
Lorsque Dieu vit que la terre était toute couverte de crimes, il se résolut d'exterminer le genre humain par le déluge; et néanmoins, pour le réparer, il choisit un homme qui dans la corruption générale avait conservé son innocence. Il s'appelait Noé. A l'âge de six cents ans il construisit sur le commandement de Dieu une arche où il fut préservé avec sa femme, ses trois fils et ses trois belles-filles de l'eau du déluge qui avait couvert le sommet des plus hautes montagnes. Lorsque cette eau fut dissipée et que la surface de la terre eut commencé à paraître et à se sécher, Dieu, en haine des crimes qui avaient attiré cet épouvantable châtiment, et de peur que la trop longue durée de la vie humaine ne servît qu'à en accroître la corruption, la raccourcit peu à peu, et la borna à l'espace de cent vingt ans. Lorsque Noé fut sorti de l'arche, il cultiva la terre et planta la vigne. Cela fait voir clairement la fausseté de l'opinion de ceux qui attribuent à Bacchus l'invention et la manière de faire le vin; car Noé a précédé de plusieurs siècles non seulement Bacchus, mais Saturne et Uranus. Aux premières vendanges qu'il fit, il but jusqu'à perdre l'usage de la raison, et s'endormit sans se couvrir. Un de ses fils nommé Cham l'ayant vu en cet état, au lieu de couvrir sa nudité, alla en avertir ses frères. Ils prirent un manteau, entrèrent au lieu où leur père dormait, et le couvrirent en tenant toujours le visage et les yeux tournés d'un autre côté. Quand Noé sut ce qui lui était arrivé, il maudit Cham et le chassa. Cham s'enfuit au pays que l'on appelle aujourd'hui Arabie et que l'on appelait autrefois de son nom terre de Canaan, comme on appelait ses descendants Cananéens. Ce furent les premiers peuples qui ne connurent point Dieu, parce que leur chef n'avait pas appris à le connaître et n'avait point été instruit par Noé son père, qui l'avait maudit et chassé. C'est d'eux que les peuples voisins sont descendus. Les descendants de Noé son père furent depuis appelés Hébreux. Ils furent dépositaires de la véritable religion. Lorsqu'ils se furent si fort multipliés que le pays où ils demeuraient ne pouvait plus les contenir, quantité de jeunes gens en allèrent chercher un autre, soit qu'ils eussent été envoyés par leurs parents ou qu'ils y eussent été contraints par la disette, et, s'étant répandus de côté et d'autre, ils peuplèrent les îles. Alors étant comme séparés de la racine d'où ils avaient tiré le sentiment de la véritable piété, ils se firent d'autres mœurs chacun selon son caprice. Les Égyptiens commencèrent les premiers à regarder le ciel et les astres, et à les adorer. Mais parce qu'ils n'avaient point encore de maisons et qu'ils jouissaient d'un air fort pur, et qui n'était couvert d'aucun nuage, ils considérèrent attentivement les astres et en observèrent le cours et les défaillances. Ils furent quelque temps après excités par des prodiges à adorer des animaux d'une figure monstrueuse. Ceux qui se dispersèrent en d'autres pays, admirèrent le ciel, le soleil et les éléments, les adorèrent et leur offrirent des sacrifices, bien qu'ils n'eussent fait encore ni temples ni images et qu'ils ne les aient inventés que dans la suite des temps, en l'honneur des plus puissants princes auxquels ils présentèrent de l'encens et immolèrent des victimes. Voilà comment ils s'éloignèrent de la connaissance du vrai Dieu et tombèrent dans l'aveuglement du paganisme. Ainsi ceux qui croient que l'idolâtrie est aussi ancienne que le monde et que notre religion est nouvelle sont dans une erreur manifeste.
