X.
A présent que nous avons réfuté ceux qui ont du monde et de Dieu son auteur une opinion contraire à la vérité, retournons à cette œuvre divine de l'univers dont parlent les livres mystérieux de notre sainte religion. Dieu créa le ciel avant toutes choses, et il le suspendit dans la partie la plus élevée de l'univers pour y établir le trône de sa gloire. Il a ensuite affermi la terre qui devait servir de demeure aux hommes et aux animaux. Il a répandu sur sa surface la mer et les fleuves. Il a rempli le lieu de sa demeure de lumière, en y attachant le soleil, la lune et une infinité d'autres globes éclatants. Il a placé les ténèbres sur la terre, car cette masse grossière et opaque n'a pas d'autre jour que celui qu'elle reçoit du ciel ; elle est le lieu de la nuit, de la mort et du tombeau, comme la partie qui lui est opposée est le lieu de la lumière et de la vie. La terre est autant éloignée du ciel que le mal est éloigné du bien, que le vice est éloigné de la vertu. Il a divisé la terre en deux parties qui semblent contraires, l'orientale et l'occidentale. L'orient a un rapport particulier avec Dieu, qui est le véritable principe de la lumière, le soleil spirituel et invisible qui nous éclaire et qui nous conduit à une vie immortelle. L'occident, au contraire, ressemble à cet esprit ténébreux qui nous dérobe la lumière et qui nous jette dans la mort du péché. Il a encore distingué sur la terre deux autres parties : le midi, qui approche plus de l'orient et qui est exposé aux ardeurs du soleil, et le septentrion qui approche de l'occident, et qui est couvert de neige et de glace. Le froid est contraire au chaud, comme les ténèbres sont contraires à la lumière. Le midi approche de l'orient, comme la chaleur approche de la lumière, et le septentrion approche de l'occident, comme le froid approche des ténèbres. Il a assigné à chaque partie une saison qui lui est propre, savoir : le printemps à l'orient, l'été au midi, l'automne à l'occident, et l'hiver au septentrion. Le midi et le septentrion sont aussi des images de la vie et de la mort, parce que la vie consiste dans la chaleur qui procède du feu, comme la mort consiste dans le froid qui procède de l'eau. Ces saisons apportent une grande variété dans la longueur des jours et des nuits, dont la révolution continuelle suit les années et les autres mesures du temps. Le jour que l'orient répand appartient à Dieu, comme tout ce qu'il y a de bon et d'excellent lui appartient; la nuit, au contraire, que l'occident répand, appartient à l'esprit qui, comme nous l'avons dit, est contraire à Dieu. Ce souverain seigneur de l'univers a trouvé bon de tracer dans le jour et dans la nuit des figures de la religion et des superstitions; car comme le soleil, bien qu'il soit seul, ainsi que son nom le porte, est le père du jour et remplit toutes les parties du monde de sa lumière et de sa chaleur. Dieu de la même manière, bien qu'il soit unique, a une majesté, une grandeur et une puissance infinies. La nuit, dont nous avons dit que l'intendance est donnée à l'esprit ennemi de Dieu, représente en quelque sorte par sa noirceur l'aveuglement et l'erreur des superstitions païennes; car quelque grand que soit le nombre des astres qui brillent au milieu des ténèbres, ils n'en sauraient jamais dissiper l'obscurité, et ayant fort peu d'éclat ils n'ont point du tout de chaleur. La chaleur et l'humidité sont deux principes que Dieu a établis pour la production et pour la conservation de tous les êtres. Comme la force de Dieu consiste dans la chaleur et dans le feu, si l'excès de cette ardeur n'avait été en quelque sorte tempéré par l'humidité et par la fraîcheur de la matière, elle aurait entièrement consumé tout ce qui lui aurait été exposé, de sorte que rien n'aurait reçu la vie qu'il ne l'eût aussitôt perdue. C'est pour cela que quelques philosophes et quelques poètes ont dit que le monde subsiste par l'accord et par la discorde qui se rencontrent entre les parties qui le composent. Héraclite a dit que toutes choses étaient nées du feu. Thalès de Milet a dit qu'elles étaient nées de l'eau. Ils ont tous les deux découvert quelque chose de la vérité, et se sont pourtant trompés tous les deux ; car s'il n'y avait point eu d'autre principe que le feu, jamais l'eau n'en serait sortie; et s'il n'y avait eu d'autre principe que l'eau, jamais le feu n'aurait été produit. La vérité est que le mélange de ces deux éléments est la cause de toutes les productions. Ce n'est pas que le feu puisse être mêlé avec l'eau, parce que ce sont deux contraires dont l'un détruirait l'autre; mais la chaleur qui procède du feu et l'humidité qui procède de l'eau peuvent être mêlées, et Ovide a eu raison d'en parler de cette sorte. Quelle que soit la contrariété apparente entre la chaleur et l'humidité, et quelque combat qu'il y ait sans cesse entre l'eau et le feu, il est vrai pourtant qu'il n'y a rien dans l'univers qui ne soit composé du mélange de ces qualités contraires. L'un de ces deux éléments est comme le mâle et l'autre comme la femelle; l'un agit et l'autre souffre. Les anciens se servaient du symbole du feu et de l'eau dans la célébration de leurs mariages, parce que la chaleur de l'un et l'humidité de l'autre servent à former et à animer les corps des animaux. Tout animal étant composé de corps et d'âme, l'humidité sert de matière à l'un et la chaleur à l'autre. Cela paraît principalement dans la formation des oiseaux; car bien que les œufs d'où ils sortent soient remplis d'une humeur épaisse, jamais cette humeur n'est animée qu'elle n'ait été auparavant rendue féconde par la chaleur. C'était autrefois une coutume de défendre l'usage de l'eau et du feu aux coupables; car on était encore persuadé en ces premiers temps que, quelque crime qu'un homme eût commis, il ne fallait pas le punir de mort ; mais en le privant de l'eau et du feu sans lesquels on ne saurait presque conserver la vie, on faisait presque la même chose que si on la lui eût ôtée. Voilà comment ces deux éléments ont toujours paru si nécessaires, que l'on a cru que sans eux l'homme ne pouvait ni recevoir l'être ni le conserver; l'usage de l'un de ces éléments nous est commun avec les bêtes, et l'autre nous est propre. Nous nous servons seuls du feu, qui étant descendu du ciel, et tendant vers le ciel par un mouvement perpétuel, nous avertit en quelque sorte de l'immortalité de notre Ame. Les autres animaux, qui sont entièrement sujets à la mort, ne se servent que de l'eau, qui est un élément grossier et terrestre, dont la pesanteur tend toujours vers le bas, et marque le lieu du tombeau; les animaux qui sont privés de l'usage du feu ne regardent jamais le ciel et n'ont aucun sentiment de religion. Il n'y a que Dieu, qui est l'auteur de ces deux éléments, qui sache de quelle manière il en a allumé un, et de quelle manière il a répandu l'autre sur la terre.
