XVII.
L'astrologie judiciaire, les auspices, les augures, les oracles, la nécromancie, la magie, et tous les mauvais arts que les hommes exercent, soit en particulier, soit en public, sont des inventions des démons, et ces arts-là sont faux, comme la sibylle Erythrée le témoigne quand elle dit : que tout ce que les hommes dépourvus de sagesse cherchent par l'explication des songes, n'est qu'illusion et tromperie. Mais bien que ces moyens de parvenir à la connaissance de la vérité soient faux, les démons qui les ont inventés abusent tellement de la crédulité des hommes, qu'ils les leur font recevoir comme véritables. Pour les détourner du culte du vrai Dieu, ils leur ont appris à faire des images et des idoles, à embellir les portraits des princes défunts, et à les consacrer dans les temples, et ils ont pris eux-mêmes les noms de ces princes comme des marques pour attirer les adorations des peuples. Mais quand les magiciens font les cérémonies exécrables de leur art, ils appellent les démons par leurs propres noms et non par les noms sous lesquels ils se font rendre un culte de religion. Ces esprits impurs et vagabonds mêlent la vérité avec le mensonge, pour tout confondre et pour répandre des erreurs. C'est dans ce dessein qu'ils ont feint un grand nombre de dieux, dont Jupiter est le roi. Cette fiction obscurcit la vérité : savoir que dans le ciel il y a un grand nombre d'anges et un seul Dieu qui est leur Seigneur, et elle la dérobe à la vue des hommes ! Dieu étant seul n'a pas besoin de nom pour se distinguer, comme je l'ai dit au commencement de cet ouvrage. Les anges, bien qu'ils soient immortels, ne veulent pas pourtant qu'on les appelle dieux. Ils mettent toute leur gloire dans leur devoir, et leur devoir consiste uniquement à obéir au souverain maître de l'univers. Nous disons que Dieu gouverne le monde à peu près comme un gouverneur administre sa province. Bien que le gouverneur fasse beaucoup de choses par le ministère de ses officiers, il n'y a pourtant personne qui dise que ces derniers partagent avec lui l'honneur du gouvernement. Cependant ils agissent très souvent contre ses ordres, sans qu'il le sache, et cette ignorance on il est, est une misérable dépendance de notre condition. Mais le souverain maître de l'univers, qui sait tout et qui voit tout, possède seul avec son Fils la puissance du commandement, et les anges n'ont que l'obéissance en partage. Ils ne s'attribuent aucun honneur, et toute leur grandeur consiste à être soumis à Dieu. Mais ceux qui ont renoncé à son service et déclaré la guerre à la vérité tâchent d'usurper des honneurs divins, non par aucun désir qu'ils en aient, car quel désir en pourraient avoir des esprits qui se sont perdus par leurs crimes ? ni à dessein de nuire à Dieu à qui nul ne peut nuire, mais à dessein de nuire aux hommes, en les détournant du culte de la majesté éternelle, et en les privant de l'immortalité dont il se sont privés eux-mêmes. C'est pour cela qu'ils mettent des voiles sur la vérité, et qu'ils charment les hommes de peur qu'ils ne reconnaissent leur père et leur Seigneur. Pour tromper plus aisément ils se cachent dans les temples aux heures auxquelles on offre des sacrifices ; ils y font de faux miracles, par lesquels ils épouvantent les simples et leur font prendre des idoles pour des dieux. C'est ce qui a fait croire qu'un augure avait coupé une roche avec un rasoir, que Junon avait déclaré qu'elle voulait être transportée de Véies à Rome, que la Fortune des Femmes a averti du péril dont la ville était menacée, que Claudia a attiré à bord un vaisseau que toute la jeunesse n'avait pu ébranler, que Junon, Proserpine, Cérès, se sont vengées des sacrilèges qui avaient été commis contre elles, qu'Hercule, se vengea aussi d'Appius comme Jupiter d'Attinius, et Minerve de César. C'est aussi ce qui a fait croire que le dragon amené d'Épidaure avait délivré Rome de la maladie contagieuse. On peut dire qu'alors le Démoniarque, c'est-à-dire le prince des démons, fut amené par les ambassadeurs sans aucun déguisement et sous sa propre et naturelle figure de serpent. Mais jamais ces démons ne trompent tant que quand ils rendent des oracles, dont ceux qui sont privés des lumières de notre religion ne découvrent pas les illusions et les impostures. Ils s'imaginent que ces oracles promettent les dignités et les royaumes, la victoire, les richesses, l'heureux succès des entreprises; ils se persuadent que ces oracles ont souvent averti des dangers dont les Etats étaient menacés, et déclaré le moyen de les éviter en apaisant la colère des dieux par des sacrifices ; mais ce n'est que tromperie et illusion. Comme les démons connaissent l’ordre que Dieu, dont ils ont été les ministres, a établi dans le monde, ils se mêlent à ses ouvrages pour lui ravir la gloire qui lui est due et pour se l'attribuer à eux-mêmes. Quand ils savent que, selon la disposition de l'éternelle providence, il doit arriver quelque avantage ou à une ville ou à un peuple, ils promettent ou en songe, ou par des prodiges, ou par des oracles, de le procurer, au cas qu'on leur élève des temples, qu'on leur offre des sacrifices, qu'on leur rende des honneurs. Quand ces honneurs leur ont été rendus, et que l'avantage qu'ils avaient promis est réalisé, le peuple conçoit pour eux une admiration et une révération qu'on ne saurait exprimer. On leur élève ensuite des temples, on consacre leurs images et on égorge en leur honneur une prodigieuse quantité de victimes. Mais ceux qui s'acquittent de ces devoirs sont eux-mêmes des victimes qui sacrifient la vie non de leurs corps, mais de leurs âmes. Quand les démons prévoient un danger extraordinaire qui est proche, ils protestent qu'ils sont en colère, bien qu'ils n'en donnent le plus souvent que de fort légères raisons, comme quand Junon protesta qu'elle était en colère contre Varron parce qu'il avait placé un jeune garçon dans le temple de Jupiter pour y veiller et pour y servir de sentinelle. Ce fut pour cela que les Romains perdirent la bataille de Cannes qui enleva la fleur de leur armée et qui éteignit presque le nom de leur république. Si Junon était jalouse du jeune garçon dont j'ai parlé, fallait-il que la fleur de l'armée romaine en portât la peine? Si les dieux n'ont soin que des chefs, et s'ils négligent les soldats, pourquoi Varron, qui était coupable, échappa-t-il, et pourquoi Paulus, qui était innocent, fut il tué? Lorsque Annibal tailla en pièces deux armées romaines par son habileté et par sa valeur, la haine que Junon avait conçue contre les Romains ne fut point cause de cette défaite ; autrement elle aurait entrepris de défendre Carthage, où elle avait son char et ses armes, et de repousser les Romains, puisqu'elle avait ouï dire qu'il sortirait de Troie une nation qui abattrait un jour les forteresses de Carthage. Ce ne sont que des illusions par lesquelles les démons, cachés sous le nom de quelques personnes qui ne sont plus, tâchent de surprendre ceux qui sont encore. Quand le péril qui est proche peut être détourné, ils font croire qu'ils l'ont détourné après avoir été apaisés par des sacrifices. Quand il ne peut-être détourné, ils disent qu'ils ne l'ont pas voulu, en haine du mépris qu'on a fait de leur puissance.
Voilà comment ils se font respecter et craindre par des hommes qui ne les connaissent point. Voilà quels sont les artifices dont ils se sont servis pour ôter à presque tous les peuples la connaissance d'un seul Dieu. Depuis qu'ils se sont perdus par leurs crimes, ils ne travaillent plus qu'à perdre les autres. C'est pour cela qu'ils ont été assez cruels pour vouloir qu'on leur sacrifiât des victimes humaines, et qu'ils se sont repus avec tant de plaisir de leur sang et de leurs âmes.
