21.
Vous me demanderez peut-être si ces mots : « La grâce pour la grâce », se trouvent quelque part dans les saintes Ecritures. Mais n'avez-vous donc pas l'Evangile de saint Jean, cet évangile tout éclatant de lumière, et dans lequel le Précurseur rend de Jésus-Christ ce glorieux témoignage : « Nous avons tous reçu de sa plénitude, et la grâce pour la grâce1? » Nous avons reçu de sa plénitude quelques parcelles proportionnées à notre faiblesse et destinées à rendre notre vie sainte « selon la mesure du don de la foi que Dieu a départie à chacun d'entre nous2 », car « chacun a son don particulier, tel qu'il le reçoit de Dieu, l'un d'une manière, et l'autre d'une autre manière3 ». Telle est la grâce elle-même; mais nous recevrons en outre la grâce pour la grâce, quand nous sera départie cette vie éternelle, dont l'Apôtre a dit: « La grâce de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ Notre-Seigneur » ; il venait de dire dans le même sens : « Le salaire du péché, c'est la mort ». La mort est vraiment un salaire, puisque la mort éternelle est pour la milice diabolique un châtiment qui lui est dû à titre de rigoureuse justice. L'Apôtre aurait pu dire également et en toute vérité de la vie éternelle, qu'elle est le salaire de la justice, mais il aime mieux dire : « La grâce de Dieu, c'est la vie éternelle », afin de nous faire mieux comprendre que ce n'est point par nos propres mérites, mais par sa miséricorde, que Dieu nous conduit à la vie éternelle. Voilà pourquoi le Psalmiste, parlant à son âme, lui dit de Dieu : « Il vous couronne dans sa bienveillance et sa miséricorde4 », Est-ce que cette couronne rie nous est pas donnée pour nos bonnes oeuvres? Oui, sans doute, mais c'est Dieu lui-même qui opère ces bonnes oeuvres dans les justes, selon cette parole : « C'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir »; de là cette conclusion du Psalmiste : « Dieu vous couronne dans sa bienveillance et sa miséricorde » , car c'est par un effet de sa miséricorde que nous accomplissons ces bonnes œuvres que Dieu couronne de la gloire éternelle. Cette parole de l'Apôtre « C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir », ne prouve nullement qu'il eût nié le libre arbitre. Autrement aurait-il dit, dans le verset précédent: « Opérez votre salut avec crainte et tremblement5? » La loi qui nous oblige d'opérer notre salut, suppose évidemment en nous la présence du libre arbitre ; mais en nous ordonnant de l'opérer avec crainte et tremblement, il ne veut pas que nous puissions nous attribuer le bien que nous faisons, et nous glorifier de nos bonnes oeuvres, comme si ces oeuvres venaient de nous. Supposant donc qu'un l'interroge, et qu'on lui demande pourquoi il se sert de ces expressions : « Avec crainte et tremblement », l'Apôtre rend raison de son tangage en ajoutant : « C'est Dieu qui opère en vous ». En effet, si vous craignez et si vous tremblez, vous n'êtes point tentés de vous glorifier de vos oeuvres, parce que vous savez que c'est Dieu qui les opère en vous.
