V. 4
« J'ai fait faire des ouvrages magnifiques; j'ai bâti des maisons et j'ai planté des vignes ; » et le reste jusqu'à l’endroit où Salomon dit : « Les yeux du sage sont à sa tête ; l'insensé marche dans les ténèbres. » Avant que d'en venir à une explication particulière de chaque verset, je crois qu'il est utile de réduire dans un corps le sens qu'ils contiennent, d'en montrer la liaison et d'en faire ici un abrégé, afin que les lecteurs comprennent plus facilement les paroles de l'Ecriture. L'auteur dit donc : J'ai joui comme un roi puissant de tous les biens qu'on estime dans le siècle. J'ai fait bâtir de magnifiques palais ; j'ai couvert de vignes les collines et les montagnes; j'ai fait planter plusieurs beaux ;jardins et plusieurs vergers; je les ai remplis d'arbres les plus rares et les mieux choisis; mais pour les entretenir toujours dans leur verdure et dans leur fertilité, je les ai fait arroser par des eaux qui prenaient leur source dans les réservoirs que j'avais fait creuser sur des lieux élevés. Pour ce qui est du nombre de mes serviteurs, tant de ceux que j'ai achetés que de ceux qui sont nés de mes esclaves, ,j'en ai eu des multitudes infinies. Avec cela j'ai été si riche en troupeaux de boeufs et de brebis qu'on n'a point vu de roi, clans Jérusalem, qui en ait eu une si grande quantité. J'ai rempli mes trésors d'un poids immense d'or et d'argent , et j'ai amassé des richesses infinies, ou des présents que les rois me faisaient, ou des tributs que plusieurs nations me payaient. Ces prodigieuses richesses m'ayant invité à augmenter de plus en plus mon luxe et mes délices, je pensai à me procurer les plus doux plaisirs de la musique et de tous les concerts des voix et des instruments. Au milieu d'une foule de musiciens, qui chantaient pendant que j'étais assis à table, j'avais encore le plaisir d'y être servi par de jeunes garçons et de jeunes filles. J'avoue toutefois que quoique je fusse enseveli dans tous ces plaisirs des sens, je sentais que ma sagesse diminuait et qu'elle m'abandonnait à proportion que mes délices augmentaient. Emporté par l'ardeur de la sensualité, je me précipitais dans toutes les voluptés que la passion pouvait me suggérer, et je me persuadais que si ,j'avais travaillé à acquérir des biens et des richesses, ce n'était que pour passer mes jours dans le luxe et dans la mollesse. Enfin, étant rentré en moi-même et m'étant éveillé comme après un profond sommeil, j'ai jeté les yeux sur mes actions, et je n'y ai trouvé que vanité, que toute sorte d'ordure, et que des égarements d'esprit continuels. Car tout ce que j'avais regardé d'abord comme un bien m'a paru ensuite n'être point un bien. Faisant donc attention et aux avantages de la sagesse et aux maux dont l'imprudence est accompagnée , je n'ai pu m'empêcher de louer l'une et de condamner l'autre; j'ai loué hautement celui qui est assez heureux que de pouvoir se modérer dans ses passions, se défaire de ses mauvaises habitudes, et qui, après s'être corrigé de ses vices, ne songe qu'à s'attacher à la pratique de la vertu. Je vois présentement une distance infinie entre la sagesse et l'imprudence, entre la modération et le luxe. Elles ne sont pas moins différentes que la nuit et le jour, et l'expérience que j'en ai faite m'oblige à reconnaître un si grand éloignement entre les vertus et les vices, que la lumière et les ténèbres ne sont pas plus éloignées ni plus opposées. Au reste il nie semble que celui qui est amateur de la sagesse a toujours les yeux élevés vers le ciel, qu'il marche la tête levée et bien droite, et qu'il contemple des vérités qui sont au-dessus du monde ; au lieu que ceux qui s'abandonnent aux vices et à leurs débauches marchent en tous temps dans l'ignorance de leurs ténèbres, et se vautrent dans la boue de plaisirs sensuels.
