V. 24 etc.
« Il vaut donc mieux manger et boire, et faire du bien à son âme du fruit de son travail ; et ceci vient de la main de Dieu. Car qui peut manger de son bien ou qui peut le mettre en réserve si Dieu ne le permet? Dieu a donné à l'homme qui lui est agréable la sagesse, la science et, la joie, et il a donné au pécheur les soins inutiles, afin qu'il amasse sans cesse et qu'il ajoute bien sur bien , et le laisse à un homme qui sera agréable à Dieu. Mais cela même est une vanité et une présomption d'esprit. » Après avoir examiné ce qui se passe dans le monde, j'ai reconnu qu'il n'était rien de plus injuste que de voir un homme jouir des travaux d'un autre, et j'ai cru au contraire qu'il n'était rien de meilleur ni de plus juste que si chacun goûtait les fruits de son travail. J'ai regardé même comme un don de Dieu quand un homme sait se servir de son bien en mangeant et buvant autant qu'il en a besoin, et usant d'épargne lorsqu'il le juge à propos. En effet c'est une grâce singulière de Dieu pour l'homme ,juste, qu'il soit dans la disposition d'employer à son profit particulier tout ce qu'il a pu acquérir par ses soins et par ses veilles. C'est au contraire une grande marque de la colère de Dieu contre le pécheur que de lui permettre de travailler jour et nuit pour amasser des richesses dont il ne doit jamais jouir, et qu'il doit laisser à ceux qui sont justes devant Dieu. Mais enfin, faisant réflexion que cela même s'en va, et que la mort est le terme de toutes nos jouissances, je n'ai pu m'empêcher d'y découvrir une très grande vanité. Voilà en passant le sens littéral de tous ces versets, de peur qu'on ne nous accuse de mépriser, comme très bas, le sens propre et naturel des Ecritures, pour nous attacher à des explications plus riches et plus spirituelles. Je n'ai garde de mépriser la simplicité du sens historique, quoique je puisse demander quel grand bien et quel don c'est d'aimer avec passion ses propres richesses, et d'attraper à la dérobée quelque petit plaisir passager ; ou, si l'on veut, de faire ses délices des travaux d'autrui, et de regarder comme un don du ciel de se faire heureux du malheur et des misères des autres.
C'est donc un grand bonheur pour nous que de pouvoir manger la chair de l'agneau et boire son sang, qui sont notre véritable nourriture, ou que de nous nourrir des véritables délices que nous trouvons préparées dans la lecture des livres sacrés. Car qui peut, sans un don particulier de Dieu, participer à la sainte table ou s'en abstenir par respect, puisque c'est Dieu lui-même qui nous ordonne de ne point jeter aux chiens les choses saintes, qui nous apprend en quelle manière le serviteur établi par son maître doit distribuer la nourriture aux autres domestiques , et qui nous avertit enfin dans un autre endroit, et clans un sens figuratif, de nous contenter quand nous trouverons du miel, d'en manger autant qu'il nous suffit. Remarquez encore que l'Écriture s'explique ici d'une manière très belle , lorsqu'elle dit que Dieu donne à celui qui est bon la sagesse, la science et la ,joie ; car celui qui n'est pas bon , et qui ne commence pas par corriger ses moeurs avec une sincère volonté, celui-là, dis-je , ne mérite point que Dieu lui donne la sagesse, la science et la joie qu'il accorde à l'homme ,juste. C'est dans ce sens qu'il est dit ailleurs: « Semez pour vous dans la justice ; recueillez au temps des vendanges des fruits de vie; préparez-vous la lumière de la science. » Il faut commencer par semer la justice, par recueillir des fruits de vie; après quoi on verra paraître le beau jour et la lumière de la science. De même donc que Dieu donne à ceux qui sont bons devant lui la sagesse et les autres dons que nous avons marqués, de même aussi abandonne-t-il les méchants à leur propre caprice, en leur permettant d'amasser des richesses, et de coudre de part et d'autre les oreillers de leur doctrine corrompue et de la perversité de leurs dogmes. Niais les gens de bien et ceux qui sont agréables à Dieu découvrent d'abord la fausseté et la vanité de ces dogmes, et ne doutent point qu'ils n'aient été inventés par un esprit de présomption. Et ne soyons pas surpris que l'Ecclésiaste nous dise que « Dieu a donné au pécheur des soins inutiles, etc. ; » car cela doit se rapporter à ce que nous avons déjà traité plusieurs fois, et il faut le prendre dans le même sens que nous lui avons donné ci-dessus; c'est-à-dire que les inquiétudes, les peines d'esprit et les chagrins qui partagent en mille manières les méchants sont les châtiments de leurs péchés; que Dieu n'est nullement l'auteur de ce qui leur arrive de contraire; mais que la source de leurs malheurs est dans leur propre volonté qui les a portés à mal faire : Et non esse causam distentionis in Deo, sed in illo qui sponte sub ante peccaverit.
