VII.
Apollon, celui de leurs dieux qu'ils croient le plus éclairé et le plus savant dans la connaissance des mystères, ayant quitté Delphes pour venir demeurer à Colophon dont l'agréable séjour l'avait charmé, un jour que quelqu'un l'interrogeait touchant la véritable essence de Dieu, lui répondit ainsi:
Il est né de lui-même ; il ne doit point à une mère la vie dont il jouit, ni à un maître la science qu'il possède ; nulle langue ne peut exprimer son nom : le feu est sa demeure : voilà quel est Dieu. Pour nous autres anges, nous ne sommes qu'une portion de la Divinité.
Ces paroles peuvent-elles s'entendre de Jupiter ? Est-il sans mère et sans nom, et l'un et l'autre ne sont-ils pas connus ? Mercure Trismégiste, dont nous avons ci-devant rapporté le témoignage, donne encore plus d'étendue à cette réponse d'Apollon ; il ne se contente pas, comme lui, de ne point donner de mère a Dieu, il ne lui donne pas même de père, parce qu'il est lui-même son principe. Et en effet celui qui donne la vie à toutes choses, la peut-il recevoir d'un autre?
C'est donc une proposition d'une éternelle vérité qu'il n'y a qu'un Dieu, qu'un Père, et qu'un Maître. Et nous croyons l'avoir jusqu'ici suffisamment prouvé, soit en y employant la force du raisonnement, soit en produisant, pour l'appuyer, une foule de témoins qui ne doivent pas être suspects à nos adversaires, puisqu'ils sont d'un même parti. Mais peut-être quelqu'un nous fera la même question que Cicéron fait faire à Hortensius. « Si Dieu est seul, de quelle félicité peut-il jouir dans une si triste solitude? » Il est vrai que Dieu est seul, mais il n'est pas vrai qu'il soit solitaire comme on se l'imagine, ni relégué, pour ainsi dire, dans le fond d'un désert. Il a sa cour, il a ses ministres que nous appelons ses anges ; et c'est la pensée d'un philosophe,1 que nous avons allégué en un autre endroit : « Dieu, dit-il, a créé de purs esprits pour être ses ministres dans le gouvernement du monde. Mais ces ministres ne sont pas des dieux, et ne veulent passer pour tels. Ils n'ont garde d'accepter des autels, ni de demander des sacrifices. Toute leur gloire consiste dans la prompte obéissance qu'ils rendent aux ordres du Tout-Puissant. » Qu'on ne présume donc pas que ces esprits soient ces fausses divinités que le peuple adore : quoique, après tout, il nous soit fort indifférent qu'on ait cette pensée, elle ne peut avoir aucune force contre nous, puisque l'unité que nous reconnaissons en Dieu exclut toute pluralité. Qu'ils s'informent du moins, ces adorateurs des faux dieux, quel nom ils peuvent leur donner sans crime. Qu'ils sachent qu'on viole le respect qu'on doit à Dieu, lorsqu'on donne à plusieurs un nom qui ne peut être qu'à un seul ; et que ce grand Dieu ne communique à personne ni son nom ni sa puissance. Qu'ils apprennent de leur Apollon ce qu'ils doivent croire de Jupiter et des dieux qui sont moindres que lui. Il leur enseignera par son oracle, que Jupiter n'a pas plus de part à la puissance souveraine que les autres dieux à la nature divine, et que de simples esprits ne sont pas des dieux, mais les hérauts ou tout au plus les ministre du vrai Dieu. Ce n'est pas que dans cet oracle votre Apollon ne soit un imposteur lorsqu'il parle de lui-même ; car n'étant qu'un mauvais démon, il a bien l'audace de se mettre au nombre de ces bienheureuses intelligences que Dieu appelle ses anges. Il est vrai qu'il se rend quelquefois justice, ou plutôt la force de la vérité l'oblige à confesser malgré lui qu'il est un esprit impur. C'est ce qu'il fit dans cette autre réponse, qu'il rendit à ceux qui lui demandaient la manière dont il voulait être invoqué, et dans la formule de prières qu'il leur prescrivit :
O vous qui savez tout, qui connaissez tout, vous qui êtes présent partout, exaucez nos vœux, ô démon.
En donnant le modèle d'une autre prière qu'il veut qu'on lui adresse, il la commence par ces mots :
Lucifer, qui avez formé cette belle harmonie qui unit ensemble toutes les parties de l’univers, sage démon, etc.
Il se condamne donc lui-même par sa propre bouche, et demeurant d'accord qu'il est ce fameux rebelle,2 qui dès le commencement du monde se révolta contre son créateur, il est en même temps contraint d'avouer qu'il mérite la peine qui est due à son crime. C'est ce qu'il confesse nettement dans un autre de ses oracles.
Les démons qui habitent sur la terre, et ceux qui parcourent les campagnes liquides, gémissent sous la pesanteur des coups que le bras de Dieu fait tomber sur eux sans relâche.
Nous traiterons dans le second livre de ces deux espèces de démons. Il nous suffit pour le moment d'indiquer que lorsqu’Apollon se veut honorer lui-même et se placer dans le ciel de sa propre autorité, il nous apprend quel nom nous devons donner à ces substances spirituelles3 qui environnent le trône de Dieu.
Que les hommes ouvrent donc enfin les yeux, qu'ils renoncent à leurs anciennes erreurs, et que sortant des ténèbres d'un culte faux et profane, ils se laissent conduire, à la faveur d'une lumière plus pure, à la connaissance de leur Dieu, de leur Père. Mais qu'ils sachent que quelque efforts que fasse l'esprit humain, quelque élévation naturelle qu'il ait, de quelque pénétration qu'il se glorifie, il se trouvera toujours accablé de la puissance de Dieu lorsqu'il en voudra mesurer l'étendue, ébloui de sa majesté s'il la veut regarder trop fixement, et arrêté tout court s'il prétend s'élever jusqu'à la connaissance de son origine.
