XVII.
Les stoïciens ne pouvant nier la justesse de ce raisonnement, se sont efforcés, comme nous en avons déjà touché quelque chose, de rapporter à des raisons naturelles tout ce qui regarde les dieux et le culte qu'on leur rend. Cicéron, qui les a suivis en ce point, nous explique ainsi leur sentiment : « Voyez-vous, dit-il, comme la nature, et les divers effets qu'elle produit pour le bien et l'utilité de l'homme, ont donné lieu aux faiseurs de fables d'inventer diverses espèces de dieux? C'est ce qui a causé ce déluge de fausses opinions, d'erreurs grossières, de contes ridicules dont toute la terre a été inondée. On est entré à l'égard de ces prétendues divinités dans des détails qui ne nous ont rien laissé ignorer de tout ce qui les concerne. Nous savons quelle est leur figure, leur âge, leurs habillements, leurs différentes parures. On a pris soin de nous informer de leur généalogie, de leurs mariages, de leurs alliances; le tout ajusté à l'infirmité humaine. » Peut-on rien dire de plus fort contre les faux dieux, que de les appeler des dieux faits à plaisir, de vaines productions de l'imagination. Cependant, celui qui les appelle ainsi est le prince de la philosophie romaine, un augure, un homme initié dans tous les mystères les plus saints et les plus augustes de sa religion. Il emploie même tout son troisième livre de la Nature des Dieux, à renverser les fondements de tous ces cultes impies et sacrilèges. Que peut-on attendre de nous après cela? Nous croit-on plus éloquent que Cicéron? Non sans doute; mais toute son éloquence ne l'a pu garantir des surprises de l'erreur, et il confesse lui-même avec une ingénuité digne d'un esprit aussi droit que le sien, qu'il n'entrevoit la vérité qu'au travers d'un nuage, et qu'il lui est bien plus facile de dire ce que Dieu n'est pas, que de dire ce qu'il est. Cela s'appelle connaître le faux et ignorer le vrai. Il faut donc encore le redire : il est plus clair que le jour que tous ces dieux n'ont été que des hommes, dont la mémoire a été consacrée par d'autres hommes ; et la différence qui se rencontre dans leur âge, leur habillement et leur figure, vient de ce que leurs images les représentent tels qu'ils étaient lorsqu'ils sont morts.
Considérons maintenant les infortunes de ces misérables divinités. Isis perd son fils1 ; Cérès perd sa fille2 ; Latone trouve à peine un rocher pour faire ses couches. Personne n'osait la recevoir, de crainte de s'attirer l'indignation de Junon. La seule île de Délos fut assez charitable pour lui donner un asile contre la cruelle persécution de cette furieuse déesse, et elle y mit au monde Apollon et Diane. La mère des dieux, la bonne femme Cybèle, s'avise à son âge d'épouser un jeune homme.3 Mais l'ayant surpris en commettant une infidélité, elle lui ôte le pouvoir de lui en faire jamais d'autre. Les prêtres gaulois, touchés de son malheur, et pour l'en consoler, instituèrent une fête en son honneur. La grande Junon, au désespoir de n'avoir point d'enfants de son frère,4 se met à persécuter toutes ses maîtresses. Le docte Varron, au sujet de cette déesse, nous a laissé par écrit que l'île de Samos, qui lui est consacrée, portait autrefois le nom de Parthénie,5 à cause qu'elle y avait passé sa première jeunesse; qu'elle y épousa ensuite Jupiter, et qu'en mémoire de ce mariage on y bâtit un temple qui subsiste encore, où l'on voit l'image de Junon vêtue en nouvelle Marie. Si donc elle a été jeune, si elle a été vierge, si elle a été mariée, quiconque après cela voudra la mettre au rang des dieux, ne mérite pas lui-même d'être mis au rang des hommes.
Ne salissons point notre plume et la blancheur de ce papier par le récit des prostitutions de l'infâme Vénus, et par les désordres honteux mentionnés par les poètes.6
Osiris. ↩
Proserpine. ↩
Athis. ↩
Jupiter. ↩
L'île de la Vierge. ↩
Cet alinéa n'est que l'abrégé de deux alinéas dans lesquels Lactance raconte avec détails une suite de désordres qui ne peuvent trouver place ici : Le latin dans les mots brave l'honnêteté, Mais le lecteur français veut être respecté. ↩
