XXIII.
Après avoir fait connaître la véritable origine des vaines superstitions, ce qui nous reste à faire est de marquer précisément le temps où elles ont été introduites dans le monde, et comme le moment de leur naissance. Nous en avons déjà touché quelque chose dans le chapitre précédent ; mais nous en parlerons un peu plus amplement dans celui-ci. Théophile, dans sa chronologie, rapportant le sentiment de Thallus, ancien historien, dit que Belus, dieu des Assyriens et de Babylone, a vécu 322 ans avant la guerre de Troie. Or Belus et Saturne étaient contemporains, ce qu'il est facile de faire voir en supposant comme un fait certain qu'Agamemnon, qui commandait les Grecs au siège de cette ville, était arrière-petit-fils de Jupiter, comme Achille et Ajax l'avaient pour trisaïeul. Ulysse était au même degré; pour Priam, il en était plus éloigné, et même il y a des auteurs qui assurent que Dardanus et Jasius, ancêtres de Priam, n'étaient pas fils de Jupiter, mais de Coritus; et ce qui rend cette conjecture vraisemblable, c'est que si ce prince1 eût été du sang de Jupiter, il y a de l'apparence que le roi de Crète2 n'aurait pas voulu en souiller la pureté, en faisant servir Ganymède,3 son parent, à l'usage infâme auquel il le consacra.
Depuis la prise de Troie jusqu'aujourd'hui, l'on compte MCCCCLXX (1470)4 ainsi il n'y a pas plus de MDCCC (1800) ans que Saturne vivait. Or, de l'aveu même de tous ceux qui ont écrit des choses divines, il est le père de tous les autres dieux et comme la souche d'où ils sont sortis. Qu'on juge maintenant quelle est l'antiquité d'une religion dont on connaît l'établissement, l'origine de ses dieux, leur naissance et leur consécration. Il y aurait encore quelque chose à dire pour achever d'abattre entièrement le culte des faux dieux; mais il est temps de finir, et ce livre n'a déjà que trop d'étendue. Nous allons maintenant travailler à écarter tous les nuages qui empêchent les hommes de voir la vérité et d'embrasser la véritable religion. Le premier pas qui conduit les hommes à la sagesse, c'est de démêler le faux d'avec le vrai, et la seconde démarche c'est de s'attacher au vrai : ainsi, celui qui dans le livre des Institutions aura appris à se défendre des atteintes de l'erreur, se trouvera disposé à recevoir dans les autres livres qui suivent les impressions de la vérité.
