X.
Le dieu Esculape doit la vie à un crime d'Apollon son père, et sa divinité à la guérison d'Hippolyte. Mais sa mort lui fut véritablement glorieuse, puisqu'il la reçut de la main de Dieu même qui le tua d'un coup de foudre. Tarquitius, qui a écrit la vie des hommes illustres, dit de lui qu'il a eu une naissance incertaine, et qu'ayant été trouvé dans un bois par des chasseurs, une chienne le nourrit de son lait ; qu'il fut ensuite donné à Chiron, qui lui apprit la médecine ; qu'au reste on le croit originaire de Misène, quoiqu'il ait passé la plus grande partie de sa vie à Épidaure, et que son tombeau se voie à Cynosure.1
Et que dirons-nous d'Apollon son père, sinon que, poussé par un désir amoureux, il se loua au roi Admète pour garder ses troupeaux, et ensuite à Laomédon pour bâtir les murs de sa ville capitale;2 mais ce prince lui retint son salaire, et commença par lui à se moquer des traités qu'il faisait avec les dieux. La passion qu'Apollon eut pour Hyacinthe ne fut pas moins funeste à lui-même et à ce beau garçon qu'elle était criminelle: il l'aime, et il en abuse: il joue avec lui, et il lui donne la mort.3
Mars, fameux par ses homicides, fut absous par le peuple d'Athènes, et arraché au supplice qu'il avait mérité.
Mais pour ne pas paraître aimer toujours le sang, et pour adoucir sa férocité naturelle, il se mit à faire l'amour avec Vénus.
Castor, et son frère Pollux, sans aucun égard pour les droits sacrés de l'hospitalité, enlevèrent les femmes de leurs hôtes. Mais Idas, outré de l'injure qu'il avait reçue de l'un de ces deux gémeaux, la vengea dans son sang. Les poètes nous disent que celui qui restait voulut partager avec son frère sa triste destinée, et que l'un et l'autre vit et meurt tour à tour; en cela les plus infortunés non seulement des dieux, mais aussi des hommes, de ne pouvoir ni vivre ni mourir.4 Cependant Homère reconnaît de bonne foi (ce qui n'est pas ordinaire aux gens de son métier) que tous deux sont morts. Car introduisant Hélène assise auprès de Priam sur les murs de Troie durant une trêve, et repassant tous les princes grecs qui étaient venus au siège de cette ville, comme elle cherche des yeux ses deux frères,5 le poète l'avertit que sa recherche est vaine, et que la terre tient leurs corps enfermés dans son sein.
Quelle réputation Mercure a-t-il laissée après lui, sinon d'avoir su parfaitement l'art de tromper? Et tout ce qu'il pouvait espérer de l'équité publique, c'était de recevoir d'elle le titre de dieu des larrons. Cependant on lui a donné une place dans le ciel, pour avoir enseigné aux hommes le jeu de l'escrime et celui de la lutte.
Pour le père Liber6 tous les dieux lui doivent déférer la place la plus honorable dans leurs assemblées ; car si l'on en excepte Jupiter, il a eu seul l'honneur de commander une armée, et de la ramener victorieuse après avoir conquis plusieurs royaumes.7 Mais par malheur ce vainqueur des Indiens se laissa honteusement vaincre par la volupté ; car ayant abordé à l'île de Naxos, accompagné d'une troupe infâme d'eunuques, il trouva sur le rivage la détestable Ariane; et la crainte qu'il eut qu'elle ne le prit pour un de ces demi-hommes qui le suivaient, le fit résoudre à l'épouser, quoiqu'elle eût encore les mains souillées du sang de son frère, et de la trahison qu'elle venait de commettre contre son père : il la fit monter ensuite dans le ciel, et il ne rougit point de placer parmi les étoiles8 les restes impurs de l'amour de Thésée.
Enfin, pour remonter jusqu'au maître de tous les dieux, le très bon, le très grand, le très puissant Jupiter, ainsi qu'il est nommé dans une prière solennelle, ne donna-t-il pas dès ses premières années des marques d'une impiété consommée ? Il ébaucha même, si l'on ose se servir de ce terme, un parricide, et sans vouloir attendre que la mort le mit en possession du trône de son père, il l'en fit descendre par force, et le contraignit de sortir de son propre royaume, et de chercher dans une extrême vieillesse un asile contre l'ambition sacrilège de son fils: c'est ce qui lui attira sur les bras les armes des Titans, et sur la terre un déluge de maux. Enfin, ayant obtenu la victoire sur ces fiers ennemis, et donné la paix au monde, il passa le reste de sa vie dans les désordres les plus honteux. Car sans parler d'un très grand nombre de filles, dont il corrompit l'innocence, peut-on voir, sans indignation, le lit d'Amphitryon violé, et la maison de Tindare couverte d'un opprobre éternel par l'incontinence de ce souverain des dieux. Mais ce qui fit rougir la nature, et ce qui devait intéresser tous les rois dans un même ressentiment, fut lorsqu'on vit sa passion furieuse et brutale monter sur le trône, et arracher un enfant royal9 d'entre les bras de son père, pour le faire servir à ses infâmes plaisirs. C'était peu pour lui d'avoir déshonoré tout un sexe, s'il n'achevait de déshonorer toute la nature, en rendant son propre sexe complice de ses horribles excès. Si celui qui a commis tant de crimes est très grand, du moins il faut avouer qu'il n'est pas très bon : on ne mérita jamais ce nom par l'inceste et l'adultère. Mais peut-être que les dieux ont là-dessus des lumières que nous n'avons pas ? peut-être que nous sommes dans l'erreur nous autres hommes, et que nos lois ont tort de punir des crimes que les dieux justifient? Le sage Cicéron était sans doute aussi dans l'erreur, lorsqu'il reprochait à Verrès un adultère qu'il adorait dans son Jupiter. Et comment osait-il accuser Claudius d'inceste, à la vue de ce dieu très bon et très grand, dont la femme est la même que la sœur10 ?
Capo di Sidro dans l'Achaïe. ↩
Troie. ↩
Il jouait avec lui au palet, et Zéphire, qui était spectateur du jeu et jaloux d'Hyacinthe, poussa le palet d'Apollon contre la tête de ce beau jeune homme, et la lui cassa. Apollon, pour se consoler, le changea en une fleur qui porte son nom. ↩
Ces deux frères partagent l'année entre eux, et pendant les six mois que l'un est sur la terre, l'autre demeure aux enfers; mais, retournant à son tour à la vie durant les autres mois, son frère va prendre sa place parmi les morts. ↩
Castor, Pollux, Hélène et Clytemnestre, étaient tous quatre enfants de Jupiter et de Léda. ↩
Bacchus. ↩
Les Indes. ↩
Cela est fondé sur ce que les astronomes nomment une certaine constellation la couronne d'Ariane. ↩
Ganymède. ↩
Junon. ↩
