VIII.
On ne peut sans doute résister à la force et à la multitude des preuves que nous venons d'alléguer, ni douter un seul moment que le monde ne soit régi par un pouvoir absolu, et par une providence infiniment éclairée, qui n'est autre chose que Dieu même. Platon, frappé de l'éclat de cette majesté, et considérant qu'elle doit être la force et la vertu qui donne le mouvement et la vie à tous les êtres, avoue, dans son Timée, que l'esprit ne saurait comprendre ni la parole exprimer tant de grandeur et de puissance. Après cela qui osera seulement penser qu'il y ait rien, je ne dis pas de difficile, mais d'impossible à Dieu, à ce Dieu qui ayant formé dans son entendement le dessein et le plan de tant d'ouvrages merveilleux, les a produits au dehors par sa puissance, et les a perfectionnés par sa parole. Sa sagesse les gouverne, son esprit y maintient l'ordre, sa bonté les conserve; et quoique nos yeux soient témoins de ces miracles, ils demeurent toujours incompréhensibles, toujours ineffables. Il ne peut être parfaitement connu que de lui même. C'est ce qui m'a souvent fait déplorer en moi-même l'aveuglement de ceux qui adorent les fausses divinités ; car enfin peut-il y avoir des hommes qui aient le cœur si étroit et l'esprit si obscurci, des hommes qui aient dégénéré de telle sorte de la noblesse de leur origine et de l'excellence de leur nature, pour se pouvoir persuader que ce qui est sorti de l'union purement naturelle d'un homme et d'une femme renferme en soi des qualités divines qui méritent leur culte et leur adoration. Qu'ils écoutent ce que la sibylle1 chante dans ses vers, et qu'ils défèrent du moins à un oracle pour lequel ils ont tant de vénération.
La divinité ne peut être formée dans le sein d'une femme, et l'homme ne saurait produire un dieu.
Si cela est, comme on n'en peut douter, que deviendra la divinité d'Hercule, d'Apollon, de Bacchus, de Minerve et celle du grand Jupiter, puis qu'il est certain que tous ces dieux doivent leur naissance à l'un et à l'autre sexe? Mais qu'ya-t-il de plus éloigné de l'extrême pureté qui doit être en Dieu, que le moyen qu'il a donné aux hommes pour conserver leur espèce ? Si donc les dieux sont immortels, si l'éternité est leur partage, quel besoin ont-ils d'un autre sexe ? Est-ce pour leur donner des successeurs? Ils ne doivent jamais finir, et quand leur postérité pourra-t-elle leur succéder? C'est ce qui a introduit parmi les hommes et les animaux la nécessité de l'union entre les sexes différents ; parce que tout ce qui reçoit la vie étant sujet à la mort, chaque espèce finirait bientôt sans cette union qui la conserve, et lui procure en quelque sorte l'immortalité. « Je conviens, dira quelqu'un, que Dieu n'a pas besoin d'un autre sexe pour avoir des fils qui lui succèdent ; mais qu'il s'en serve du moins pour se faire des sujets, ou pour augmenter le nombre de ses ministres; » comme si Dieu, dont la puissance ne peut être bornée, ne pouvait sans ce secours produire autant de créatures qu'il le jugera nécessaire pour sa gloire et pour son service. Car s'il a bien voulu accorder à des insectes le privilège de pouvoir se former une postérité du suc de quelques herbes odoriférantes et du plus pur sang des fleurs, qui osera nier qu'il ait le pouvoir de peupler le monde de nouvelles créatures, sans avoir recours à un moyen si peu digne de la simplicité de sa nature?
Que les hommes ne soient donc plus si insensés que de rendre à leurs semblables un culte qui n'est dû qu'à Dieu. Mais on voudra peut-être savoir ce qui a rempli le monde de tant de divinités, ce qui a obligé les peuples à élever des autels en tant de lieux : c'est l'amour qu'ils ont eu pour leurs princes ; c'est cet amour qui leur a mis l'encensoir à la main. Ils ont cru ne pouvoir rendre à la mémoire de leurs rois ce qu'ils croyaient leur devoir, soit à cause de leurs vertus, soit pour la découverte de quelques arts utiles à la vie civile ou naturelle, soit enfin pour reconnaître les bienfaits qu'ils en avaient reçus, qu'en leur rendant après leur mort les honneurs divins. Il ne faut qu'ouvrir les historiens et les poètes pour être d'abord convaincu de cette vérité.
Erythréenne. ↩
