XIX.
On me dira peut-être qu'il n'y a rien à la vérité de plus juste que d'honorer le Dieu qui a créé l'univers; mais que cela n'empêche pas que ceux qui ont rendu quelque service au public ne reçoivent leur part de cet honneur. Je réponds à cela : que le culte des créatures est incompatible avec celui du Créateur;1 c'est ne lui en rendre aucun que de partager celui qu'on lui rend, parce que Dieu étant un et seul, la religion consiste dans une adoration indivisible. Écoutez le prince de vos poètes qui vous crie que tous ces inventeurs d'arts sont dans les enfers; qu'Esculape, le fameux Esculape, malgré les importants services qu'il a rendus à l'homme, a senti la main d'un Dieu plus puissant que lui, qui l'a renversé d'un coup de foudre et l'a envoyé herboriser sur les bords du Styx, pour vous apprendre quel doit être ce Dieu qui réduit les vôtres en poudre. On voudra peut-être me soutenir que la chose n'est pas, parce qu'il est impossible qu'un dieu soit foudroyé; et moi je dis que c'est parce qu'il a été foudroyé que ce n'était pas un dieu, mais un homme. La fiction du poète ne consiste pas dans le fait qui est véritable, mais dans le nom qui est faux.2 Le poète craignait le peuple. Et qui aurait osé s'opposer à une erreur si universellement répandue? Concluons donc : que de l'aveu même de vos poètes, qui sont aussi vos théologiens, vos dieux souffrent pour leurs crimes dans les enfers, et ne sont pas des dieux; car qui peut faire un dieu d'un méchant homme?
