I.
Nous avons donc entrepris de traiter dans cet ouvrage de la religion et de toutes les choses qui concernent le culte divin; car si nous voyons tous les jours de fameux orateurs, les lumières du barreau, s'éclipser, pour ainsi dire, à la fin de leurs cours, et se soustraire aux affaires publiques, pour s'appliquer uniquement à l'élude de la philosophie, et y chercher le repos que leurs glorieux travaux leur ont si justement mérité : si ces grands personnages, bien loin d'y goûter la douceur de ce repos si longtemps désiré, et acheté par tant de sueurs et de fatigues, n'y trouvent au contraire que de nouvelles tortures pour leur esprit, parce qu'ils cherchent ce qu'ils ne sauraient rencontrer : avec combien plus de raison et de confiance devons-nous nous jeter entre les bras de la divine sagesse comme dans un port assuré, puisque tout ce qu'elle enseigne est naturel à penser, agréable à écouter, facile à dire et honorable à entreprendre. Si enfin des hommes nés pour être les arbitres des peuples et les interprètes de la justice, ont cru bien mériter du public en lui donnant les Institutions du Droit Civil, pour tâcher par là d'assoupir les différends qui naissent à tous moments parmi leurs citoyens : que ne devons-nous point espérer de la grandeur et de la sainteté de notre sujet, puisqu'il ne s'agit pas ici de quelques lois locales, ou de quelques coutumes établies, mais de la vie éternelle, de l'immortalité, de Dieu même ! J'entreprends cet ouvrage sous vos auspices, ô invincible empereur, et j'ose mettre à la tête de ces Institutions le nom sacré du grand Constantin, de ce prince religieux qui, renonçant à l'erreur a, le premier de tous ceux qui ont régné avant lui, reconnu le véritable Dieu, et lui a rendu le culte qui n'est dû qu'à lui seul. Car cet heureux jour que la Providence avait choisi pour vous donner l'empire du monde, ayant enfin paru, vous commençâtes un règne qui devait faire tout le bonheur des peuples, comme il en faisait déjà tous les souhaits; vous commençâtes, dis-je, ce beau règne par rappeler la justice du triste exil où vos prédécesseurs l'avaient toujours reléguée. Un commencement si digne d'un empereur chrétien, n'en doutez point, attirera sur vous toutes les bénédictions de Dieu. Ce Dieu reconnaissant vous comblera d'une félicité durable ; il vous donnera les grandes et solides vertus; il prolongera vos jours jusqu'à une heureuse vieillesse, afin que les hommes aient le plaisir de voir la justice et la voir régner longtemps sur eux, et qu'après une longue suite d'années et d'heureux succès, vous puissiez mettre entre les mains des Césars vos fils1 le pouvoir souverain que vous avez reçu de celles de votre auguste père.2 Mais si Dieu a couronné la piété en votre personne sacrée, il saura bien punir l'impiété de ceux3 qui persécutent encore les adorateurs de son nom et les disciples de son fils ; et plus il semble différer leur châtiment, plus ils en doivent craindre la rigueur. Car si la vertu trouve en lui un père plein de bonté, le crime doit s'attendre à y trouver toute la juste colère et la sévère équité d'un juge inexorable.
Entrons donc dans la voie qui conduit à la vérité, et prenons garde à ne nous pas engager dans des routes écartées sous la conduite de ces faux sages, de ces célèbres fondateurs de la philosophie humaine. Je serais sans doute le premier à les suivre, et à porter les autres à embrasser leurs dogmes, si je croyais qu'ils pussent nous faire arriver sûrement à la possession de la vertu. Mais ce sont des guides aveugles, qui ne s'accordant pas même entre eux sur le chemin qu'on doit tenir, et marchant chacun par des sentiers différents qu'ils ont tracés, n'ont laissé après eux que des vestiges confus, sur lesquels il est dangereux de régler les siens, et qui, bien loin de mener à la connaissance de la vérité, conduisent infailliblement à l'erreur et au mensonge. Pour nous, qui avons le bonheur d être initiés par le baptême aux mystères sacrés de la véritable religion, qui avons reçu d'en haut par l'organe de la foi la lumière de la vérité, et qui avons Dieu même pour garant des grands principes que nous établissons, nous invitons toutes sortes de personnes au banquet que nous avons préparé, où nous ne servirons que des viandes célestes, et qui ont la vertu de rendre immortels ceux qui en font leur nourriture ordinaire.
Nous avons partagé cet ouvrage en sept livres, dans lesquels nous exposerons la vérité dans tout son jour, et nous la ferons voir avec toute la beauté et tous les agréments qui l'accompagnent. Au reste, le sujet que nous traitons est si riche et si abondant, que si nous voulions étaler toutes les richesses qu'il renferme et ne rien omettre de tout ce qui pourrait contribuer à sa perfection, nous serions obligés de lui donner une trop grande étendue. Mais si nous resserrons notre discours dans de justes bornes, on ne doit pas craindre qu'il en soit plus obscur; car les choses que nous avons à dire sont d'elles-mêmes si claires et si faciles à comprendre qu'on ne saurait assez s'étonner de voir les hommes, et surtout ceux qui font une profession particulière de sagesse, de les voir, dis-je, chercher la vérité, sans la pouvoir trouver, puisqu'elle se montre à eux environnée de tant de lumières. Que si nous sommes assez heureux, ce que nous espérons de la bonté du ciel, pour faire rentrer les hommes dans le chemin de la vérité, dont ils se sont écartés pour suivre celui de l'erreur, nous les conduirons à la source d'une doctrine salutaire, où ils pourront étancher avec plaisir et sans crainte la soif ardente qui les brûle. Il ne sera pas même nécessaire qu'ils fassent un grand effort d'esprit pour pénétrer dans ce que nous leur proposerons : nous le ferons avec tant de netteté qu'on le concevra sans peine, pourvu qu'on ait la patience d'écouter ou de lire; car il se trouve des personnes si fort attachées à leurs préventions qu'elles se mettent volontairement un voile sur les yeux pour ne pas voir la vérité ; et leur aveuglement est d'autant plus déplorable, qu'en voulant défendre leur religion, ils ne font rien pour elle et font beaucoup contre eux. C'est pour ces malheureux esclaves de la prévention et de l'erreur que nous entreprenons d'écrire ceci. Il faut, s'il se peut, les faire sortir de cette obscurité où ils sont comme ensevelis, il faut leur aider à rompre les liens qui les retiennent captifs du mensonge. Qu'ils considèrent seulement ce qu'ils sont, et pourquoi ils se trouvent sur la terre; qu'ils apprennent à se connaître, et ils apprendront en même temps à connaître quelle est leur fin, et quels sont les moyens qu'ils doivent prendre pour y arriver; qu'ils soient enfin bien persuadés que toute religion sans la pratique de la vertu est fausse, et que la vertu sans l'exercice de la véritable religion n'est qu'imaginaire.
