8.
Comment le Prophète nous apprend-il ces vérités? « Combien, Seigneur, vos oeuvres minuit admirables, et combien sont profondes vos pensées1 ! » A la vérité, mes frères, nulle mer n’est aussi profonde que cette pensée de Dieu, qui laisse fleurir les méchants, et qui laisse les bons dans la douleur. Rien n’est plus profond que cet abîme; c’est dans ce gouffre, dans cette profondeur que tout infidèle fait naufrage. Veux-tu franchir cet abîme? Attache-toi au bois du Christ, et pour ne pas sombrer, tiens fortement au Christ. Qu’ai-je dit : Tiens-toi au Christ? C’est pour cela qu’il a voulu souffrir sur la terre. Vous l’avez entendu à la lecture de cette prophétie: il ne détournait ni ses épaules du fouet, ni son visage des crachats de la soldatesque, ni sa joue de leurs soufflets2. Pourquoi donc vouloir souffrir ainsi, sinon pour consoler ceux qui souffrent? Il pouvait ne ressusciter sa chair qu’à la fin des temps : mais toi qui n’aurais rien vu, quelle espérance aurais-tu pu concevoir? Il n’a donc point différé sa résurrection, afin d’écarter de toi tous tes doutes, C’est dans l’espoir de cette résurrection qu’il te faut endurer ici-bas les tribulations que le Christ a su endurer : sans t’émouvoir de ceux qui font le mal, et qui jouissent néanmoins ici-bas du bonheur. « Que vos pensées sont profondes, ô mon Dieu ! » Où est la pensée de Dieu? Attacher à présent les rênes qu’il doit resserrer ensuite. Loin de toi cette joie du poisson qui tressaille en dévorant l’amorce; le pécheur n’a pas encore retiré l’hameçon qui est dans la gorge de cet infortuné. Ce qui te paraît long est de courte durée, et tout cela passe rapidement. En face de l’éternité de Dieu, qu’est donc la plus longue vie humaine? Veux-tu être patient? envisage l’éternité de Dieu. Tu vois les jours peu nombreux, et dans ces jours tu veux que Dieu accomplisse tout. Qu’est-ce à dire tout? Qu’il damne les impies et couronne les justes. Voilà ce que tu voudrais voir en tes jours. Dieu l’accomplira en son temps. Pourquoi t’ennuyer et ennuyer les autres? Dieu est éternel; il diffère, il est patient, et tu viens dire : Je ne puis attendre, je ne suis que pour un temps. Cela dépend de toi; unis ton coeur au Dieu qui est éternel, et tu seras éternel avec lui. Qu’a dit le Prophète à propos de ce qui passe avec le temps? « Toute chair est une herbe, et toute gloire de la chair est la fleur d’une herbe; l’herbe s’est desséchée et la fleur est tombée3». Tout se dessèche donc, et tout s’éteint, mais non la parole de Dieu : « Cette parole demeure éternellement ». L’herbe passe, la fleur de l’herbe passe; mais il te reste un appui, c’est « la parole de Dieu qui demeure éternellement ». Dis-lui donc alors : « Que vos pensées sont insondables, ô mon Dieu ! » C’est alors qu’en tenant le bois de la croix, tu peux traverser cet abîme. Y vois-tu quelque chose? Y comprends-tu quelque chose? J’entends, me réponds-tu. Si tu es chrétien, si tu es instruit à l’école du Christ, tu réponds que Dieu réserve tout à son jugement. Les bons souffrent, parce que Dieu les flagelle comme des enfants; les méchants sont dans la joie, parce qu’ils sont damnés comme des étrangers. Un homme a deux fils, il corrige l’un, et abandonne l’autre, l’un fait mal, et n’est aucunement réprimé par son père, l’autre au moindre mouvement est souffleté, châtié. Pourquoi l’un est-il négligé, l’autre frappé, sinon parce que l’on réserve l’héritage à ce dernier, et que l’autre est abandonné comme l’enfant que l’on déshérite? On ne voit aucune espérance en lui, et on le laisse vivre à son gré. Mais si l’enfant que l’on corrige n’était point sage, s’il était assez imprudent pour envier le sort de son frère que l’on ne corrige point; s’il gémit intérieurement, s’il dit en son coeur : Mon frère fait tous les crimes, il s’affranchit des ordres de mon père, et il ne reçoit aucune réprimande, tandis qu’à la moindre faute, je suis châtié sans pitié; il serait alors un insensé, un imprudent s’arrêtant à ce qu’il souffre, et non à ce qu’on lui réserve.
