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Mais peut-être croiriez-vous que c'est trop peu de n'avoir à citer qu'une seule autorité appartenant à l'Eglise orientale? Cependant veuillez remarquer que la place occupée par saint Grégoire parmi ses frères de l'épiscopat, prouve suffisamment qu'il n'était alors que l'écho fidèle de la vérité catholique, et que, s'il jouissait d'une telle célébrité et se voyait entouré de tant de respect, c'est que sa doctrine paraissait de tous points conforme à la règle et aux lois de l'éternelle vérité. Néanmoins, si vous le voulez, je vous citerai également saint Basile, ou plutôt je vous le citerai bon gré malgré, surtout parce que, dans l'ouvrage qu'il a composé contre les Manichéens, vous avez cru trouver certaines expressions que vous avez reproduites dans votre quatrième livre, et qui ne s'appliquent en aucune manière à la question du péché originel entrant dans le monde par un seul homme, et passant dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché. Ce que soutient saint Basile, c'est que le mal n'est ni une substance, ni une chose substantielle, comme l'enseignaient les Manichéens. Voici ses paroles: «Le mal n'est point une substance, mais une manière d'être qui découle uniquement de la volonté », non pas sans doute pour ceux qui, en vertu de leur première naissance, subissent la loi de la transmission de la mort antique, mais pour ceux qui ont puisé l'amour du mal dans leur volonté propres, c'est-à-dire que, parvenus à l'âge de raison, ils ont usé de leur libre arbitre pour commettre volontairement le péché. «Cet état du péché n'est donc qu'un état accidentel, qui dès lors peut facilement disparaître, pourvu que le pécheur en ait sincèrement la volonté. Au contraire, si le péché commis ne pouvait plus être rejeté par la volonté, si après n'avoir été qu'accidentellement conçu parla volonté, il ne pouvait plus en être séparé, alors encore on ne pourrait pas dire que le mal est une substance, mais on devrait affirmer que toute substance, accidentellement souillée par le péché, ne peut plus être sans péché. Or, nous disons du péché qu'il n'est qu'un acte accessoire, et qu'il n'a d'autre principe que la volonté. Par conséquent le mal peut être facilement séparé de la substance qu'il flétrit; que cette substance se purifie et se soumette à la loi qui la dirige, et alors elle redeviendra d'une innocence parfaite, et ne présentera plus aucune trace du mal et du péché ». Ainsi parlait, et avec raison, saint Basile, quand il voulait préciser rigoureusement ce que nous devons penser de ce mal qui est entré dans le monde par Adam et qui est passé dans tous les hommes. Avant tout, dès lors, le péché doit nous apparaître comme une chose accidentelle à la nature humaine. En effet, telle n'était point la nature humaine dans sa formation primitive ; et quant au péché, il a pour cause, non point une substance, mais uniquement la volonté humaine, soit la volonté de la femme qui s'est laissée séduire par le serpent, soit la volonté de l'homme qui ne consentit au péché que sur les instances de sa femme déjà séduite. Toutefois, quand saint Basile proclame qu'il est facile de séparer le mal de la volonté ou de la substance, cette facilité vient, non pas de la volonté humaine, mais de la miséricorde de Dieu. Du reste, quelle que fût cette facilité, il suffisait de la constater pour confondre les Manichéens, quand ils enseignent qu'il est impossible à la nature du mal de se changer en bien. Voilà pourquoi saint Basile ne dit pas de la volonté humaine, en tant qu'on l'envisagerait comme une substance ou une nature, qu'elle peut facilement se séparer du mal; il dit simplement qu'elle peut en être facilement séparée ; et par ce langage si sagement mesuré, il réfutait les Manichéens ses adversaires, et ne donnait à l'orgueil humain aucun motif de s'élever contre la grâce. Nous parlant du Tout-Puissant, l'Evangile nous enseigne qu'il peut facilement ce qui est absolument impossible aux hommes1;. aussi n'appartient-il qu'à lui seul, par l'abondance de ses grâces, de détruire le mal qui survient en nous, soit par la volonté d ii premier homme, soit par notre propre volonté, de telle sorte que, selon les paroles mêmes que vous citez de saint Basile, la substance soumise à la volonté puisse recouvrer une innocence parfaite, sans conserver aucune trace ou aucun vestige du péché. Ce prodige aura son accomplissement, telle est du moins l'espérance des fidèles, et cette espérance ne sera point confondue. Quand sera-t-elle réalisée ? La foi catholique nous l'apprend sur-le-champ et sans hésiter, et c'est alors que nous dirons à la mort notre cruelle ennemie : «Où est ta victoire, où est ton aiguillon2 ? »
