37.
Les Manichéens nous demandent d'où vient le mal. Nous répondons : Le mal vient du bien, mais non pas du bien suprême et immuable. D'où il suit que les maux sont nés des biens inférieurs et muables. Ces maux assurément ne sont pas des natures, mais des vices des natures ; cependant nous ne pouvons pas les considérer en eux-mêmes, et, abstraction faite de toute nature qui leur serve de sujet, le mal n'est autre chose que la privation ou l'absence du bien. Et cette privation, cette absence, où petit-elle se trouver, si ce n'est dans telle ou telle nature ? La volonté mauvaise, par exemple, doit être nécessairement la volonté d'une nature. Or, l'ange et l'homme sont des natures. Parler d'une volonté, c'est nécessairement parler de la volonté de quelqu'un, voilà pourquoi ce sont surtout les volontés qui constituent la valeur ou la qualité des natures qu'elles affectent.
En effet, si l'on demande ce qu'est un ange ou un homme de mauvaise volonté, on répond aussitôt, et en toute vérité: Il est mauvais ; et cette réponse prouve que l'on fait abstraction de la nature bonne en elle-même pour lui appliquer la qualité qu'elle tire de sa volonté mauvaise. La nature pourrait donc se définir : Une substance capable de bonté et de méchanceté ; elle est capable de bonté en tant qu'elle participe au bien qui l'a créée; elle devient méchante ou mauvaise, non pas précisément en vertu d'une participation directe au mal, mais parce qu'elle se prive du bien. En d'autres termes, elle devient mauvaise, non pas en tant qu'elle se trouve mêlée à une nature intrinsèquement mauvaise, car aucune nature, comme telle, n'en est là ; mais en tarit qu'elle se sépare de la nature qui est le bien suprême et immuable ; elle s'en sépare, donc ce n'est pas d'elle qu'elle a été tirée, mais du néant. Une nature ne pourrait donc avoir une volonté mauvaise, si elle n'était pas soumise au changement. D'un autre côté, elle ne serait pas soumise au changement, si elle était formée de la nature même de Dieu, et non point tirée du néant. Par conséquent, Dieu est l'auteur de tous les biens, puisqu'il est l'auteur de toutes les natures ; et si les natures ont le pouvoir de se séparer du bien, ce pouvoir qu'elles exercent librement, prouve, non point par qui elles ont été créées, mais d'où. elles ont été créées. C'est du néant, qui n'est rien ; et puisqu'il n'est rien, peut-on déterminer l'auteur de son être ?
