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Mais voici une autre proposition bien plus manichéenne encore. « Le péché originel », dites-vous, « s'évanouit comme un fantôme, car la racine du mal ne saurait être placée dans ce que vous appelez le don de Dieu ». Maintenant suivez ce facile raisonnement. Les sens de l'homme ne sont-ils pas un don de Dieu? Et cependant notre grand ennemi y a semé la racine du mal, quand, empruntant le séduisant langage du serpent, il a persuadé à l'homme de commettre le péché1. Si les sens de l'homme n'avaient pas alors reçu le germe du mal, aurait-il donné son consentement à ces perfides insinuations? Et que dirai je de l'avarice qui est la racine de tous les maux? Où siége-t-elle, si ce n'est dans l'âme de l'homme? Et cette âme n'est-elle pas un don de Dieu ? Non, vous ne vous compreniez pas vous-même, quand vous disiez. « La racine du mal ne saurait être placée dans le don de Dieu ». Mais le Manichéen, à qui vos maximes inconsidérées sont si utiles, écoutez ce qu'il vous dit. Si toute créature raisonnable est un don de Dieu, et si la racine du mal ne peut être placée dans un don de Dieu ; combien plus est-il vrai de dire que la racine du mal ne peut naître du don de Dieu? C'est ainsi que, fort de votre langage, le Manichéen se croit en droit de conclure que le mal a sa racine, non point dans une nature créée de Dieu, mais dans une nature coéternelle à bien. Si vous répondez avec la foi catholique, que la racine du mal est née du libre arbitre, d'une nature bonne en elle-même, et créée par Dieu; il s'empare aussitôt de ces paroles pour convaincre de mensonge cette autre maxime : « La racine du mal ne peut être placée dans le don de Dieu » ; maxime formulée par vous-même, et dont le manichéen peut très-facilement s'armer contre vous. En effet, s'il est vrai, comme vous l'affirmez, que le mal ne peut pas être placé dans le bien, combien moins, selon la parole de votre adversaire, le mal peut-il sortir du bien ! Il en conclura que le mal ne peut venir que du mal, et il s'attribuera avec raison la victoire, à moins qu'on n'engage un combat simultané contre vous et contre lui. Quant à la foi catholique, si elle triomphe du Manichéen dans vos paroles, c'est précisément parce qu'elle triomphe aussi de vous-même. Car si elle ne vous réfutait pas, quand vous dites que « la racine du mal ne peut être placée dans le don de Dieu » ; combien moins pourrait-elle réfuter le Manichéen, assurant que la racine du mal ne peut sortir du don de Dieu ? Or, pour vous vaincre, vous et les Manichéens, il lui suffit d'affirmer que c'est de la nature et dans la nature raisonnable que naît et se trouve la nature du mal. Or, c'est par l'effet du don de Dieu que peut exister telle créature raisonnable. Mais comme cette créature a été tirée du néant par le bien suprême et immuable, elle est réellement un bien, quoique un bien muable et changeant; de là vient qu'elle peut, sous l'influence de cette racine du mal, se séparer du bien véritable et tomber dans le mal, puisque le mal n'est autre chose que la privation du bien.
Gen. III, 1-6. ↩
