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L'adversaire de la foi catholique, et par là même de la vérité et de la religion, c'est bien le Manichéen qui établit entre le bien et le mal une opposition tellement radicale, que pour lui la nature mauvaise ce n'est pas celle qui se sépare du bien, en ce sens que le mal ne soit autre chose que la privation du bien, mais en ce sens que le mal soit lui-même une nature ou une substance, et ce qui est pire encore, une nature ou une substance éternelle. Cette nature, il l'appelle corps et esprit ; corps, c'est-à-dire l'instrument d'opération pour l'esprit; esprit, c'est-à-dire l'agent qui fonctionne par le corps. Telle est la doctrine du Manichéisme. Mais quel appui ne prête point à cette doctrine celui qui soutient que le mal ne peut sortir du bien, et interprète dans leur rigueur absolue ces paroles du Sauveur : «L'arbre bon ne produit pas de mauvais fruits1? » Sur les lèvres de Jésus-Christ, l'arbre désignait-il donc telle ou telle nature d'où: sortiraient les fruits dont il parlait ? Ce qu'il désignait, n'était-ce pas uniquement la volonté bonne ou mauvaise, comme les fruits désignaient les oeuvres qui ne sont jamais bonnes, en tant qu'elles procèdent d'une volonté mauvaise, et qui ne sont jamais mauvaises, en tant qu'elles procèdent d'une volonté bonne ? Et, en effet, tel est bien le sens de ces paroles : «L'arbre mauvais ne porte pas de bons fruits, comme l'arbre bon ne porte pas de mauvais fruits t » ; en d'autres termes : La volonté bonne ne produit pas d'oeuvres mauvaises, et la volonté mauvaise ne produit pas d'oeuvres bonnes. Si nous nous demandons quelle est l'origine de ces arbres, c'est-à-dire de ces volontés elles-mêmes, où la trouverons-nous, si ce n'est dans ces natures mêmes que Dieu a créées? Par conséquent, le mal sort du bien, ce qui signifie, non pas que les oeuvres mauvaises sortent des natures bonnes: mais que les volontés mauvaises sortent des natures bonnes. Tout Manichéen se réjouit d'entendre dire que le mal ne peut sortir du bien, car du moment qu'on ne peut nier l'existence du mal, il se voit autorisé à conclure que le mal doit sortir d'une nature mauvaise, puisqu'il ne peut sortir d'une nature bonne. Dès lors le mal a nécessairement pour origine la nature même du mal; par conséquent, cette nature n'a pu avoir de commencement, elle est éternelle, et il y a eu éternellement deux natures, la nature du bien et la nature du mal. En effet, ou bien le mal n'existe pas, ou il sort d'une nature bonne, ou il sort d'une nature mauvaise. Dire que le mal n'existe pas, c'est démentir cette parole du Sauveur : «Délivre-nous du mal2 ». Dire que le mal ne peul sortir que du mal, c'est donner victoire au manichéisme, lui ouvrir libre carrière et l'autoriser à porter ses ravages jusque, sur Dieu lui-même dont il niera l'immutabilité, et dont il violera la nature en la mêlant à une nature mauvaise. La seule conclusion possible, c'en donc d'affirmer que le mal sort du bien, car dire qu'il sort du mal, c'est donner gain de cause aux Manichéens.
