13.
« Et je lui montrerai mon salut ». Ne passons point légèrement sur ces paroles : « Je lui montrerai mon salut » ; c’est-à-dire, je lui montrerai le Christ lui-même. Pourquoi? N’a-t-il pas été vu sur la terre? Que veut nous montrer de si grand le Seigneur? Nul n’a vu le Seigneur comme nous le verrons. Comme il s’est montré, ceux qui l’ont vu, l’ont crucifié. Ceux donc qui l’ont vu l’ont crucifié, et nous, nous croyons en lui sans l’avoir vu. Avaient-ils donc des yeux que nous n’avons point? Nous avons, nous, les yeux du coeur; mais nous voyons par la foi, et non par la claire vue. Quand viendra la claire vue? « Quand nous le verrons face à face1 », ainsi que dit l’Apôtre : c’est ce que Dieu nous promet comme la grande récompense de tous nos labeurs. Tout ce que tu endures ici-bas, tu l’endures afin de voir. Nous verrons je ne sais quoi de grand, puisque c’est la grande récompense qui nous est promise, et cette grande vision sera la vision de Jésus-Christ même. Celui que l’on a vu dans son humilité sera vu dans sa grandeur, et il sera notre joie, comme il est aujourd’hui la joie des anges. « Au commencement était la Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu2». Celui qui nous a fait cette promesse, remarquez-le bien, c’est Notre-Seigneur qui nous dit dans l’Evangile: « Celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai ». Et comme si on lui demandait: Que lui donnerez-vous ? « Je me montrerai à lui3 », répond-il: désirons-le, aimons-le, brûlons d’amour, si nous sommes l’épouse. L’époux est absent, attendons-le: il viendra enfin, celui que nous désirons. Il nous a donné de tels gages, que l’Epouse ne doit pas craindre d’être abandonnée de son Epoux: il n’abandonnera point ses gages. Quels gages a-t-il donnés? Il a répandu son sang. Quels gages a-t-il donnés? Il a envoyé l’Esprit-Saint. Et l’Epoux abandonnerait de tels gages? Les eût-il donnés, s’il ne nous aimait point? Il nous aime donc. Oh ! si nous l’aimions de cet amour. Nul ne peut aimer davantage, que de mourir pour ceux qu’il aime . Mais nous, comment pouvons-nous mourir pour lui? De quoi lui servirait notre mort, depuis qu’il a mis si haut son asile, et que le fléau ne saurait atteindre son tabernacle? Que dit pourtant saint Jean?4 « Si le Christ a donné sa vie pour nous, nous devons à son exemple donner notre vie pour nos frères5 ». Quiconque dès lors meurt pour ses frères, meurt pour le Christ; de même que nourrir un frère, c’est nourrir le Christ : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait6 ». Aimons le Christ, mes frères, imitons son amour, courons après ses parfums, comme il est dit dans le Cantique des cantiques : « Nous courrons à l’odeur de vos parfums7 ». Il est venu, il a exhalé ses baumes, et cette odeur s’est répandue par le monde, D’où cette odeur ? Du ciel. Suis-le donc jusqu’au ciel, si toutefois tu ne réponds point en parjure quand on dit : En haut les coeurs, en haut les pensées, en haut l’amour, en haut l’espérance, qui se corromprait sur la terre, Tu n’oses mettre ton blé dans un endroit humide; tu crains la pourriture pour ce froment que tu as cultivé, que tu as moissonné, que tuas battu, que tu as vanné. Tu veux un lieu convenable pour ton blé, et tu n’en cherches pas un à ton coeur? tu ne cherches point pour ton trésor un lieu de sûreté? Fais donc sur la terre ce qui est en ton pouvoir; donne, et tu ne perdras rien, tu mettras en dépôt. Et qui donc gardera ce dépôt? Le Christ qui te garde toi-même. Il sait te garder, et il ne saurait garder ton trésor? Pourquoi te demander de changer ton trésor, sinon afin que tu changes ton coeur? Nul en effet ne s’occupe que de son trésor. Combien en est-il qui m’écoutent maintenant, et qui n’ont le coeur que dans leur coffre-fort ? Vous êtes sur la terre, parce que l’objet de votre amour est sur la terre:
envoyez-le dans le ciel, et votre coeur sera dans le ciel. Où sera votre trésor, là aussi sera votre coeur8.
