6.
Comment pourrai-je vaincre, diras-tu? Voilà que l’Apôtre me propose un combat très-difficile, et lui-même prend soin de me montrer combien il est difficile, sinon impossible, de vaincre, si je n’en comprends l’importance. « La chair »,dit-il, as conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, en sorte « que vous ne faites point ce que vous voulez1». Comment me commander de vaincre, quand lui-même nous dit : as En sorte que vous ne u faites point ce que vous voulez? e Veux-tu savoir comment? Jette les yeux sur la grâce de ce vase pastoral, mets dans ce vase de lait la pierre du fleuve, Eh bien ! je vous le dis, ou plutôt c’est la Vérité qui vous le dit : Tu ne fais point ce que tu veux, parce que la chair combat contre l’esprit. Dans ce combat, si tu présumes de tes forces, je t’en avertis, ne fais pas bon marché de cette parole : « Réjouissez-vous en Dieu notre soutien 2. Si tu pouvais tout par toi-même, tu n’aurais pas besoin de soutien; et si tu ne faisais rien par ta propre volonté, II pue te faudrait aucun aide, car on n’a besoin d’aide que quand on agit. Aussi, après avoir dit : « La chair conspire contre l’esprit, l’esprit contre la chair, en sorte que vous ne faites point ce que vous voulez », et après t’avoir mis toi-même sous tes propres yeux, comme dépourvu de force contre toi-même, l’Apôtre te renvoie tout d’un coup à celui qui peut t’aider: «Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes as plus sous la loi ». Celui qui est sous la loi, au lieu d’accomplir la loi, se trouve sous le fardeau de la loi, comme David sous le poids de ses armes. Si donc tu es conduit par l’esprit, vois qui est celui qui t’aidera pour accomplir ce que tu veux; ton aide est pour toi un sauveur, une espérance, c’est lui qui dresse tes mains au combat, tes doigts à la lutte. « Les oeuvres de la chair sont faciles à reconnaître; ce sont la fornication, l’impureté, le luxure, l’idolâtrie, les empoisonnements, les dissensions, les inimitiés, les ivrogneries, les débauches, et autres crimes semblables; car je déclare, et je l’ai déjà dit, que ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu3». Non point ceux qui combattent ces crimes, mais ceux qui les commettent. Il est une différence, en effet, entre combattre, vaincre, et jouir de la paix et du repos. Je vais le montrer par quelques exemples : Ecoutez. On te propose un gain à faire, et cela te plaît; il faut user de fraude, mais le gain est considérable; cela te plaît, et toutefois tu résistes : c’est là le combat; mais on te persuade, on fait des instances, on délibère. Combattre, c’est donc être en danger. Après avoir vu le combat, voyons le reste. Au mépris de la justice, tel a commis la fraude : le voilà vaincu; mais il rejette le gain pour demeurer juste, le voilà vainqueur Dans ces trois états je plains le vaincu, je crains pour celui qui combat, j’applaudis au vainqueur. Mais celui là même qui a vaincs a-t-il pu gagner sur lui de n’être point tenté par l’argent, de n’y point goûter un certain attrait, quoiqu’il l’ait surmonté et méprisé, quoique, loin d’y consentir, il n’ait point daigné même le combattre ? Il a ressenti néanmoins quelque vibration de plaisir, et cette vibration, cet ennemi qui déjà ne combat plus, qui ne règne plus, persiste néanmoins en nous: il y a dans cette chair mortelle quelque chose qui n’y sera plus un jour. Tout sera absorbé dans une pleine victoire, mais à l’avenir ; quant à cette vie, « le corps est mort à cause du péché », et de là vient que le péché subsiste dans notre corps sans toutefois y régner : « Mais l’esprit est vivant à cause de la justice. Si donc l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous4 ». C’est là qu’il n’y aura plus de combat, plus même de vibration; tout sera dans une paix profonde. Ce n’est point une nature contraire qui combattra une autre nature, mais c’est comme deux époux sous un même toit. Qu’ils viennent à se quereller, c’est un séjour fatigant et plein de périls; que le mari ait le dessous, la femme l’avantage, c’est une paix contre tout ordre; que le mari domine au contraire, que la femme lui soit soumise, la paix est dans l’ordre ; et toutefois ce ne sont point deux natures différentes, puisque la femme a été tirée de l’homme. Ta chair est pour toi une épouse, une servante; donne-lui tel nom qu’il te plaira, il te faut la soumettre; et s’il y a combat, que la victoire te reste. Tel est l’ordre, en effet, que l’inférieur soit soumis au supérieur; afin que celui-là même qui veut s’assujettir ce qui lui est inférieur soit soumis à son tour à celui qui est au-dessus de lui. Reconnais donc l’ordre et cherche la paix toi à Dieu, et la chair à toi. Y a-t-il rien de plus juste, rien de plus beau? Toi soumis au supérieur, l’inférieur à toi. Sois serviteur ,e celui qui t’a créé, afin d’avoir pour serviteur ce qui a été créé pour toi. L’ordre que nous traçons et que nous prêchons n’est point A toi la chair, et toi à Dieu; aimais bien : Toi à Dieu, et la chair à toi ; si tu dédaignes « toi à Dieu », tu n’obtiendras jamais la chair à toi. Rebelle envers ton Seigneur, tu seras sous l’esclave de l’esclave. Si tu n’es d’abord soumis à Dieu, et ensuite la chair soumise à toi-même, pourras-tu dire ces paroles : « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui dresse mes mains au combat et mes doigts à la guerre? » Tu veux combattre sans savoir, tu seras vaincu et condamné. Soumets-toi donc à Dieu tout d’abord, puis avec ses leçons et son secours tu combattras en disant : « C’est lui qui dresse mes mains au combat, mes doigts à la guerre ».
