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« Et n’entrez point en jugement avec votre serviteur1». Quels hommes veulent entrer en jugement avec Dieu, sinon ceux qui ignorent sa justice, et veulent établir celle qui leur est propre? Que signifie : « Nous avons jeûné et vous ne l’avez point vu; nous nous sommes humiliés, et vous ne l’avez point su2 ?» C’est comme si ces interlocuteurs disaient : Nous avons accompli vos préceptes, pourquoi ne pas accomplir vos promesses envers nous? Et Dieu te répondra : Recevoir ce que j’ai promis, c’est un don de ma grâce, et faire ce qui mérite cette récompense est encore un don de cette même grâce. Enfin, voici ce que dit le Prophète à ces superbes : « Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi? Vous m’avez tous abandonné, dit le Seigneur3». Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi et faire mention de vos actes de justice ? Comment approuver la justice dans un coeur où je condamne l’orgueil? C’est donc avec raison qus notre interlocuteur, qui est humble dans le corps du Christ, apprenant de ce chef auguste à être doux et humble de coeur4’, s’écrie ici: « N’entrez point en jugement avec votre serviteur ». Ne disputons point, je ne veux aucun différend avec vous, ô mon Dieu, ni faire valoir ma justice, pour être, par vous, convaincu d’humilité. « N’entrez point eu jugement avec votre serviteur ». Pourquoi? Que craint-il? « C’est que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous ». Nul homme vivant,est-il dit, nul homme vivant ici-bas, vivant dans la chair, vivant pour mourir, nul homme né des hommes, vivant pour les hommes, né d’Adam, ou plutôt Adam vivant; tout homme vivant de la sorte pourra sans doute paraître juste à ses propres yeux, mais non à vos yeux. Comment à ses propres yeux? Ayant pour lui-même des complaisances, et dès lors il vous déplaira : « Car devant vous nul homme vivant ne paraîtra juste ». N’entrez donc point en jugement avec moi, je vous en supplie, ô mon Dieu. Quelle que soit ma justice à mes propres yeux, vous tirez de vos trésors la règle infaillible, vous l’appliquez surmoi, et vous nue trouvez tortueux. «N’entrez point en jugement avec votre serviteur». Oui, « avec votre serviteur». Il est indigne de vous, ô Dieu, d’entrer en jugement avec celui qui vous sert, non plus qu’avec votre ami. Autrement vous ne diriez point: « Je vous le déclare, à vous qui êtes mes amis5», si de vos serviteurs vous ne les aviez faits vos amis. Bien que vous me donniez le nom d’ami, je confesse que je ne suis qu’un serviteur. J’ai besoin de miséricorde, je reviens de mes égarements, implorant mon pardon, et indigne d’être appelé votre fils6. « N’entrez donc pas en jugement avec votre serviteur ; car nul homme vivant ne sera juste à vos yeux. Ne louez personne avant sa mort7 ». Nul homme donc absolument. Que dirons-nous de ces chefs du troupeau, de ces apôtres dont il est dit : « Offrez au Seigneur les fils des béliers8». L’un d’eux, saint Paul, sait bien, nous dit-il, qu’il n’est point parfait : «Non pas que j’aie déjà reçu, ou que je sois parfait9 ». En un mot, mes frères, ils ont appris à faire la même prière que nous, le divin Jurisconsulte leur a prescrit la même règle de supplications. « C’est ainsi que vous prierez10 », leur dit-il, et après quelques articles qui précèdent il prescrivit ce que devaient dire ces béliers, ces chefs du troupeau, c’es principaux membres du Pasteur suprême, de celui qui rassemble toutes les brebis en un seul troupeau; ils apprirent à dire ; « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent11 ». Ils ne dirent point: Nous vous rendons grâces parce que vous nous avez remis nos dettes, comme nous remettons, nous aussi, à ceux qui nous doivent; mais bien : remettez-nous comme nous remettons. Déjà, sans doute, les Apôtres priaient, les fidèles priaient; car cette prière est enseignée par le Sauveur principalement à ceux qui lui sont fidèles; si l’on entendait par ces dettes celles qui sont remises au baptême, les catéchumènes principalement devraient dire: « Remettez-nous nos dettes». Que les Apôtres donc disent eux-mêmes : «Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Et quand on leur dira: Pourquoi ce langage? quelles sont vos dettes? qu’ils répondent: « Nul homme vivant ne sera justifié en votre présence ».
