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D'ailleurs, quand on dit d'Abraham que son corps était mort, on veut uniquement nous faire entendre qu'il avait perdu sa fécondité. Le miracle opéré en sa faveur a donc eu pour résultat de lui permettre, dans son extrême vieillesse, d'engendrer avec une femme qui aurait pu devenir mère avec un époux jeune. Comme on vivait alors beaucoup plus longtemps, les sens perdaient plus tard, sans aucun doute, leur vigueur et leur fécondité, si toutefois elle peut se perdre par l'âge dans un époux en santé. En effet, au moment même où j'étais occupé à lire votre ouvrage, on m'annonça qu'un vieillard de quatre-vingt-quatre ans qui, pendant vingt-cinq ans, avait vécu religieusement dans la continence avec une femme religieuse, venait d'acheter une esclave nommée Lyristrie pour se procurer avec elle les plaisirs de la chair. Or, si nous faisons attention à la durée actuelle de la vie humaine, ce vieillard est respectivement plus âgé que ne l'était Abraham qui devait encore vivre soixante-dix ans. Il est donc plus prudent de croire que Dieu rendit à ses deux serviteurs la fécondité qu'ils avaient perdue. La stérilité de Sara est généralement attribuée à deux causes : l'une naturelle, car elle était stérile, depuis sa jeunesse, et l'autre occasionnée par l'âge, non pas précisément parce quelle avait quatre-vingt-dix ans, mais parce que son corps avait cessé de se purifier. Dès que cette purification vient à cesser, la fécondité, eût-elle existé dans la jeunesse, cesse également. Si l'Écriture nous a révélé toutes les circonstances de la vie de Sara, c'est sans doute parce qu'elle voulait rehausser à nos yeux l'éclat de ce prodige. Quand Sara présenta à son époux une de ses servantes dont elle voulait recevoir les enfants, ce qui lui inspirait cette résolution, ce n'était point son âge, mais sa stérilité naturelle. L'Écriture ne nous dit-elle pas : «Sara, l'épouse d'Abraham, ne lui donnait pas d'enfants? » S'adressant à son mari, Sara elle-même lui disait : «Dieu m'a fermée, afin que je n'enfante pas ». Maintenant, si nous considérons l'âge de ces deux époux, nous les trouverons assurément décrépits, surtout si nous les assimilons aux hommes de notre temps. Abraham avait à peu près quatre-vingt-cinq ans, et Sara soixante-quinze. Ne lisons-nous pas : «Abrabain avait quatre-vingt-six ans quand Agar lui donna Ismaël1 ? » La génération s'était donc faite environ un an auparavant. De nos jours, semblables choses pourraient-elles se faire sans miracle? Elles se seraient faites alors, si Sara n'avait point été stérile, car Abraham pouvait avec elle ce qu'il a pu avec Agar, et d'un autre côté, l'âge de Sara, pour devenir mère, n'était point encore passé. Quoi qu'il en soit, Abraham ne pouvait avoir d'enfants avec Sara, d'abord parce qu'elle était naturellement stérile, et ensuite parce qu'elle approchait de cet âge où tout espoir est perdu pour la maternité, comme le constate l'expérience médicale. S'il en eût été autrement, la sainte Écriture n'aurait pas remarqué que « les purifications mensuelles de Sara avaient cessé », après nous avoir fait observer précédemment qu' « Abraham et Sara étaient très-avancés en âge2 ». Donc, eu égard même à cette époque où la vie était plus longue qu'elle n'est aujourd'hui, Abraham et Sara ne pouvaient plus engendrer, puisque Abraham avait cent ans et Sara quatre-vingt-dix. Malgré ce grand âge, et en admettant que Sara n'eût pas été stérile, et qu'elle eût pu engendrer avec un époux plus jeune, toujours est-il qu'elle ne pouvait plus engendrer avec Abraham, comme de son côté, Abraham ne pouvait plus engendrer avec elle, quoiqu'il l'eût pu encore avec une autre femme plus jeune, comme cela est arrivé avec Céthura3 ; et encore, ne pourrait-on pas dire que, s'il avait conservé cette puissance, ce n'était que parce qu'elle lui avait été rendue pour la naissance d'Isaac? Quant à l'état actuel des choses, où la vie humaine est réduite à des proportions plus restreintes, on doit reconnaître que si leur âge réuni forme cent ans, les époux peuvent encore engendrer. Mais quand ils ont passé cent ans, on assure qu'ils ne peuvent plus engendrer, lors même que la femme serait douée de la fécondité, et en conserverait les caractères et pourrait engendrer avec un mari plus jeune. On serait tenté d'en conclure que, en vertu d'une loi de la nature, la génération devient impossible quand l'âge réuni des deux époux compte au moins cent ans.
