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Toutefois, quant au sujet qui nous occupe, je ne vois pas comment vous osez dire que je brise toutes les rênes à l'aide desquelles on pourrait enchaîner les passions ; n'ai-je point affirmé, au contraire, que les passions peuvent être enchaînées par les efforts de l'homme aidé de la grâce de Dieu ? A mon tour, je vous demande si elles sont bonnes ou mauvaises, ces passions dont vous prêchez la répression et auxquelles vous m'accusez de donner libre carrière. Je suppose qu'il s'agit de nos propres passions, et non pas des instincts brutaux des bêtes de somme ou des animaux, quels qu'ils soient. Oui, il y a en nous des cupidités mauvaises dont nous enchaînons l'impétuosité par une vie sainte et chrétienne. Et vous m'accusez de couper les rênes à l'aide desquelles on peut réprimer les passions mauvaises? L'une de ces passions, c'est ta concupiscence de la chair, de laquelle et avec laquelle nous naissons, et contre laquelle les enfants reçoivent le remède de la régénération. J'ajoute que les époux chastes font un usage légitime de cette concupiscence mauvaise, tandis que les adultères en abusent. Vous, au contraire, vous soutenez qu'elle est bonne; que les adultères en abusent, et que les époux chastes en font un bon usage ; enfin, vous et moi, nous donnons la préférence à la continence, vous, parce qu'elle n'use pas de ce bien, et moi, parce qu'elle s'abstient de ce mal. Dieu seul voit le secret de nos consciences, mais la vie extérieure de chacun de nous est connue des hommes au milieu desquels nous vivons; cependant tous deux nous professons la continence, et si nous possédons réellement cette vertu dont nous faisons profession, nécessairement nous enchaînons en nous la concupiscence, nous luttons sans relâche contre l'impétuosité de ses mouvements; enfin, chacun des pas que nous faisons en avant est pour nous une victoire. Toutefois, entre vous et moi, il y atout ceci de différent : A mes yeux j'enchaîne le mal, à vos yeux vous enchaînez le bien ; je soutiens que le mal lutte contre moi, et pour vous, c'est le bien; je combats contre le mal, et vous contre le bien ; je désire triompher du mal, et vous du bien. Enfin, n'est-il pas naturel de penser qu'en prodiguant vos éloges à cette concupiscence, vous faites plus pour l'enflammer que vous ne faites pour l'enchaîner en vous condamnant à la continence ?
