28.
Que vous sert-il d'ajouter que la passion s'affaiblit par la caducité ? N'est-il pas bien plus simple de dire qu'elle s'éteint entièrement par la mort, et qu'alors l'homme vaincu et subjugué par cette passion n'a plus de combat à soutenir et ne doit plus attendre que le châtiment de sa défaite ? Jusque-là, et c'est pour nous la plus grande de toutes les amertumes, fussions-nous sains de corps et d'esprit, les mouvements de cette concupiscence sont toujours insensés, et c'est en cela que se produit cette lutte de la mort que vous ne comprenez pas. «Cette concupiscence », dites-vous, «ou bien s'exerce honnêtement dans les époux, ou bien elle est enchaînée par la vertu dans les hommes chastes » . Est-ce bien là ce qui se passe, et en parlez vous par votre propre expérience ? Les époux eux-mêmes n'ont-ils pas besoin d'enchaîner ce mal, ou plutôt ce qu'il vous plaît d'appeler un bien ? Quand ils le peuvent, les époux se connaissent; mais quand il faut différer et que la passion se fait sentir, le devoir conjugal en paraît-il moins légitime ? Si c'est d'après ces principes que vous avez dirigé votre vie conjugale, cessez de vous mettre en jeu dans cette discussion, et demandez à d'autres quelles sont les règles à suivre. Toutefois je m'étonnerais, si du moins vous n'aviez pas enchaîné certains désirs d'adultère, ou si vous n'aviez pas senti que vous deviez les enchaîner. Quoi donc ? Même la pudeur conjugale a besoin de lutter contre des désirs immodérés dans un usage en soi légitime, contre de coupables convoitises, contre les excès qui blessent la nature, et vous osez dire : «La concupiscence s'exerce honnêtement dans les époux1 » Cet appétit est donc toujours honnête dans les époux, et dès lors y aurait-il lieu pour l'Apôtre de croire qu'il eût quelque chose à leur pardonner2 ? Il eût été bien plus sage de dire C’est par la modération dont les époux font preuve que la concupiscence conjugale reste honnête. Peut-être avez-vous craint qu'on ne jugeât mauvais ce que les époux eux-mêmes doivent enchaîner sous le frein de la modération ? Enfin, puisque maintenant, du moins, vous vivez dans la continence, souvenez-vous des quatre coursiers dont nous parle saint Ambroise. Sachez distinguer celui qui est mauvais, et ne louez ni de coeur ni de bouche un coursier que vous devez dompter parla force. « Le quatrième vice », dites-vous, «appartient au voluptueux, c'est-à-dire qu'il roule sur les excès mêmes de cette volupté, et parce qu'il n'est plus conforme à la nature, c'est en toute justice qu'il doit être condamné, en raison même de ses excès » . Et d'où viennent, je vous prie, ces excès? de l'impudicité ou de la concupiscence ? De l'impudicité, me répondrez-vous sans doute, tant vous craignez de blesser cette concupiscence dont vous avez entrepris la justification ! Or, les hommes ne regardent l'impudicité comme un péché que parce qu'elle est d'accord avec la concupiscence. Et vous ne regarderiez pas comme un mal ce à quoi on ne saurait consentir sans péché ? Eh bien ! je dis que ce mal dont je parle réside dans notre chair et convoite contre l'esprit, lors même que notre esprit y resterait complètement étranger, soit par son refus de consentement, soit par ses désirs directement contraires. Ecriez-vous donc : «Délivrez-nous du mal ». Et à ce mal qui existe en nous, gardez-vous d'ajouter un mal non moins grand, celui de vos louanges.
