62.
Peut-être seriez-vous tenté de croire que ces paroles ne sont que le cri d'un catéchumène appelant de ses voeux le bain de la régénération, après lequel il ne ressentirait plus dans ses membres aucune loi de péché résistant à la loi de son esprit. Pourtant, si nous vous en croyons, quoique régénéré dans les eaux du baptême, vous avez encore à soutenir, par le bien de la continence, de glorieux combats contre le mal de la concupiscence. Quoi qu'il en soit, je vous invite à méditer les avertissements donnés par saint Paul aux Galates, qui certainement étaient baptisés. « Obéissez », leur dit-il, «à l'impulsion de l'esprit, et ne cédez pas aux convoitises de la chair ». Il ne leur dit pas : N'ayez aucune de ces convoitises, car ils n'étaient pas libres de ne point en avoir; mais : «N'y cédez pas », c'est-à-dire, n'en faites pas les œuvres par le consentement de votre volonté. «Car »,dit-il, « la chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair; ce sont là deux adversaires, de telle sorte que vous ne faites pas toujours des choses que vous voudriez ». N'est-ce pas le commentaire naturel de ces paroles aux Romains: «Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas ? » S'adressant aux Galates, il ajoute: «Que si vous a vous conduisez par l'Esprit de Dieu, vous n'êtes point sous la loi1 ». C'est la pensée qu'il formulait en ces termes aux Romains : «Ce n'est pas moi qui le fais ; je me réjouis dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur; que le péché ne règne pas dans votre corps mortel, de manière à obéir à ses désirs2 ». Nécessairement notre chair de péché, notre corps mortel ressentent les mouvements de la concupiscence, mais, pourvu qu'on y résiste, on réalisera ce voeu de l'Apôtre : «Ne cédez point aux convoitises de la chair ». Les œuvres de la chair nous sont admirablement dévoilées dans ce qui suit : «Il est aisé de reconnaître à leur évidence les oeuvres de la chair, qui sont la fornication, l'impureté, la luxure, l'idolâtrie, etc.3 » Si donc on ne consent pas aux convoitises de la chair, quelle que soit l'impétuosité de ses mouvements, on n'en fera pas les oeuvres. Comme donc la chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair, de telle sorte que nous ne faisons pas ce que nous voulons, on doit en conclure que les convoitises de la chair peuvent se faire sentir sans être couronnées par les oeuvres, comme nos bonnes œuvres peuvent se produire sans arriver pour cela à leur perfection. La concupiscence de la chair est pleinement satisfaite quand elle obtient pour ses oeuvres mauvaises le consentement de l'esprit, de telle sorte que, loin de convoiter contre elle, l'esprit convoite avec elle ; de même nos bonnes oeuvres arrivent à leur perfection, quand la chair se met tellement d'accord avec l'esprit qu'elle cesse de convoiter contre lui. C'est là ce que nous voulons obtenir, quand nous aspirons à la perfection de la justice ; c'est là le but que nous devons poursuivre sans relâche ; mais comme nous ne pouvons en arriver là tant que nous sommes ensevelis dans notre chair corruptible, l'Apôtre a pu dire aux Romains en toute vérité : «Il m'appartient de vouloir le bien, mais je ne trouve pas le moyen de l'accomplir4 » ; ou bien, selon le texte grec : «Il m'appartient de vouloir, mais non pas de faire le bien dans toute sa perfection ». Il ne dit pas de faire, mais de « parfaire ». Car faire le bien, c'est ne point obéir à la concupiscence5; tandis que parfaire le bien, c'est ne point convoiter. L'Apôtre disait aux Galates : « Ne parfaites point les concupiscences de la chair » ; et aux Romains il dit dans un sens tout opposé : « Je ne trouve pas le moyen de parfaire le bien ». En effet, la concupiscence n'arrive point à la perfection du mal, tant qu'elle n'a pas obtenu l'assentiment de notre volonté ; de même notre volonté n'arrive point à la perfection dans le bien, tant que nous ressentons au dedans de nous-mêmes ces mouvements auxquels pourtant nous ne consentons -pas. Mais revenons à ce combat qu'ont à soutenir ceux même qui ont reçu le baptême, tant que la chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair; l'esprit fait le bien, quand il refuse de consentir à la concupiscence mauvaise, mais ce bien n'est point encore parfait, puisque les mauvais désirs n'ont point entièrement disparu ; quant à la chair, elle forme le mauvais désir, mais tant qu'elle n'a pas obtenu le consentement de l'esprit, elle n'atteint pas la perfection du mal et n'arrive même pas aux oeuvres condamnables. Or, je dis que ce combat n'est soutenu ni par les Juifs ni par les Gentils, mais uniquement par les chrétiens qui savent déployer tous leurs efforts pour mener une vie sainte, et réalisent de la sorte en eux-mêmes cette parole de saint Paul aux Romains : «Je suis soumis à la loi de Dieu selon l'esprit, mais assujetti à la loi du péché selon la chair6 ».
