9.
« Il couvre d’eau ses parties les plus hautes1 ». Voilà ce que nous lisons, et ce que l’on peut très-bien prendre à la lettre, Quand Dieu voulut établir le firmament entre les eaux et les eaux, il en fut ainsi1, et il y eut des eaux inférieures pour arroser la terre, et des eaux supérieures loin de nos regards mais qui sont un objet de notre foi. « Et que les eaux », dit le Prophète, « qui sont au-dessus des cieux, bénissent le nom du Seigneur car il a dit, et tout a été fait; il a ordonné, et tout a été créé2 ». Voilà donc le sens littéral de ces paroles, que « Dieu couvre d’eau le plus haut des cieux ». Quel est le sens figuratif ? Car nous avons montré que le mot de peau figurait l’Ecriture sainte, l’autorité du Verbe divin, dispersée par des hommes mortels dont la renommée s’est étendue après leur mort. Que signifie donc: «Il couvre d’eau ses parties les plus hautes?» Quelles hauteurs ? Du ciel. Et qu’est-ce que le ciel ? La sainte Ecriture. Quels sont les endroits supérieurs de la sainte Ecriture? Que trouvons-nous de plus élevé dans les saintes lettres ? Interroge saint Paul : « Je vous montre, dit-il, une voie bien supérieure encore3». Que peut-il appeler une voie bien supérieure? « Quand je parlerais les langues des hommes et celles des anges, sans avoir la charité, je ne suis qu’un airain sonore, une cymbale retentissante4 ». Si donc on ne saurait trouver dans les saintes Ecritures rien de supérieur à la charité, comment couvrir d’eau les hauteurs des cieux, si les préceptes supérieurs des saintes Ecritures sont la charité ? Ecoute comment : « L’amour de Dieu », dit l’Apôtre, « est répandu dans nos coeurs, par d’Esprit-Saint qui nous a été donné5 ». Ce mot seul de répandre marque les saintes eaux dans la charité de l’Esprit-Saint. Telles sont les eaux dont il est dit quelque part : « Que vos eaux coulent dans vos rues, et que nul étranger n’y ait part6». Ces étrangers sont tous les hommes en dehors du sentier de la vérité, soit païens, soit Juifs, soit hérétiques, soit même mauvais chrétiens; ils peuvent avoir des dons nombreux, mais non la charité. Et quel est ce don, mes frères? Ne parlons point des dons du dehors, que partagent les autres hommes, puisque Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants7; de ces dons qui viennent de Dieu, à la vérité, biens communs non-seulement aux bons et aux méchants, mais encore aux animaux, aux bêtes de somme. Etre, vivre, voir, sentir, écouter, jouir des bienfaits des autres sens, voilà des dons qui viennent de Dieu : mais voyez avec combien de créatures, et quelles créatures nous les partageons, et auxquelles nous ne voudrions pas ressembler. Les hommes les plus méchants ont aussi l’esprit vif et pénétrant; de vils comédiens ont l’adresse et la souplesse; des voleurs ont de grandes richesses , des méchants ont une femme et des enfants. Ces dons excellents viennent de Dieu, nul n’en doute; mais voyez avec qui tout cela nous est commun. Maintenant jette les yeux sur les dons de l’Eglise. Quelles richesses dans le baptême, dans l’Eucharistie et dans les autres sacrements ! Et néanmoins, Simon le magicien y prit part8. Quels dons chez les Prophètes ! Et néanmoins Saül, ce roi réprouvé, prophétisa, et il prophétisa quand il persécutait David qui était saint. Il envoie des archers prendre David, et David était alors au milieu des Prophètes, du nombre desquels se trouvait Samuel, ce saint personnage tous furent saisis de l’esprit de prophétie, et prophétisèrent. Mais peut-être est-ce parce qu’ils étaient venus avec de bonnes intentions, par la seule nécessité de leur charge, ou sans vouloir obéir à l’ordre qu’ils avaient reçu. Saül en envoya d’autres qui firent comme les premiers; et si nous leur prêtons les mêmes intentions, voilà que Saül, parce qu’ils tardaient à revenir, y alla lui-même dans sa fureur, ne respirant que le meurtre, et tout altéré d’un sang innocent, qu’il payait d’ingratitude: ce fut alors qu’il fut saisi de l’esprit de prophétie, et qu’il prophétisa9. Ils n’ont donc point à se vanter, ceux qui ont reçu de Dieu quelques dons, comme le baptême, sans avoir la charité; mais bien, qu’ils pèsent le compte qu’ils doivent rendre à Dieu, puisqu’ils n’usent pas saintement des choses saintes. C’est parmi eux que l’on dira: «Nous avons prophétisé en votre nom ». On ne répondra point: Vous mentez ; mais on leur dira: « Je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité10. Car j’aurais en vain l’esprit de prophétie, je ne suis rien si je n’ai l’esprit de charité11». Saül prophétisa, et il était un ouvrier d’iniquité. Or, qui fait l’iniquité, sinon celui qui n’a point la charité? « Car la charité est la plénitude de la loi12 ». Que signifie dès lors : « Il couvre d’eau ses hauteurs? » C’est que, dans toutes les Ecritures, c’est la charité qui est la voie la plus élevée, qui obtient le plus haut rang; qu’il n’y a que les bons pour y arriver; que les méchants n’y ont aucune part; qu’ils peuvent avoir part au baptême, avoir part aux autres sacrements, avoir part aux prières publiques, être dans les murailles de l’Eglise, et dans l’unité extérieure, mais qu’ils n’ont point de part avec nous dans la charité. Telle est la source de tous les biens, la source propre aux saints, et dont il est dit : « Que nul étranger n’ait part avec toi13». Quels sont les étrangers ? tous ceux qui entendent : « Je ne vous connais point ». Puisqu’on ne les connaît point, puisqu’on leur dit : « Je ne sais qui vous êtes », ils sont bien des étrangers. La voie suréminente de la charité est donc proprement pour ceux qui appartiennent au royaume des cieux. Donc le précepte de la charité domine les cieux, domine tous les livres; puisque les livres lui sont subordonnés, puisque c’est pour elle que combat toute langue des saints, tout mouvement des dispensateurs de Dieu, soit de l’intérieur, soit de l’extérieur. C’est donc là une voie suréminente, et c’est avec raison que Dieu couvre d’eau les hauteurs du ciel; car, dans les livres saints, on ne trouve rien de supérieur à la charité.
