39.
Au fond tous ces péchés, soit ceux qui privent le prochain de quelques-uns des avantages de cette vie, soit ceux par lesquels les hommes se souillent eux-mêmes sans nuire au prochain malgré lui ; tous ces péchés, même quand ils semblent procurer à cette vie temporelle une jouissance ou un profit, car c'est là le but et la fin qu'on s'y propose, sont cependant des entraves et des obstacles multipliés dans le chemin qui mène à la vie éternelle. Les uns ne gênent que ceux qui les commettent, les autres nuisent à ceux sur qui on les commet. En effet quand le malfaiteur enlève les biens qui appartiennent exclusivement à la vie du temps, il se fait tort à lui-même ; lui seul perd ses droits à la vie éternelle et non ses victimes. Aussi en se laissant dépouiller de ses biens, soit pour ne pas pécher, soit pour se soustraire aux plus grands inconvénients attachés à leur possession, non-seulement on ne pèche pas, mais on montre, dans le premier cas, un courage digne d'éloge, et dans le second, on reste innocent et on recueille un profit. Quant à tout ce qui tient à la pureté et à la religion , si quelqu'un cherche à nous en priver par la violence, il faut, si on nous pose cette condition et qu'on nous en laisse la faculté, nous y soustraire par des fautes moindres , pourvu toutefois qu'il n'en résulte aucun tort pour le prochain. Mais dans ce cas, la faute commise pour éviter un plus grand mal, n'est plus péché. Comme en matière d'intérêt, d'argent par exemple ou de tout autre bien temporel, on n'appelle plus perte ce que l'on sacrifie en vue d'un gain plus considérable ; ainsi, dans ce qui tient à la sainteté, on n'appelle plus péché ce que l'on fait pour éviter un plus grand péché. Ou encore, si l'on veut appeler perte ce qu'on sacrifie pour échapper à une. perte plus grande; qu'on appelle aussi péché ce que nous venons de dire, néanmoins que personne n'hésite à le faire pour éviter un plus grand mal, pas plus qu'on n'hésite à subir une perte moindre pour se garantir d'une plus grande.