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Sans doute il importe souvent de savoir pour quelle cause, dans quelle fin, avec quelle intention une chose se fait ; mais tout ce qui est certainement péché, ne peut jamais se faire sous prétexte de cause juste, de bonne fin, d'intention droite. Les actions humaines qui ne sont point par elles-mêmes péchés, sont tantôt bonnes, tantôt mauvaises, selon qu'elles ont un motif bon ou mauvais; par exemple, donner à manger aux pauvres est une bonne couvre, si on le fait par esprit de compassion et avec une foi saine, comme aussi l'acte conjugal, quand il a pour but de procréer des enfants, qu'on l'accomplit avec foi et dans l'intention de régénérer (par le baptême) les enfants à naître. Ces actes, et d'autres de ce genre, sont bons ou mauvais suivant leurs motifs; une mauvaise intention les change en péchés, comme par exemple si on nourrit un pauvre par ostentation, si on cherche dans le mariage l'assouvissement de la passion, si on met au monde des enfants pour les donner au démon et non à Dieu. Mais quand l'action est coupable par elle-même, comme le vol, la fornication, le blasphème et autres de ce genre, qui osera- dire qu'on peut la faire pour de bons motifs, en sorte qu'elle cesse d'être péché, ou, ce qui est plus absurde, qu'elle devienne un péché juste?. — Qui osera dire : Volons les riches pour avoir de quoi donner aux pauvres; ou : Rendons de faux témoignages à prix d'argent, surtout si un innocent ne doit point en pâtir, ou si par là nous pouvons soustraire un coupable au juge qui va le condamner? En effet, il en résultera deux biens: nous recevrons de l'argent pour nourrir les pauvres, et on trompera le juge pour l'empêcher de condamner un homme. Et pourquoi ne pas aussi détruire les testaments vrais et leur en substituer de faux, pour que les héritages et les legs n'aillent point à des personnages indignes,qui ne savent pas en user pour le bien; mais qu'ils passent à des gens qui donnent à manger à ceux qui ont faim, revêtent ceux qui sont nus, donnent l'hospitalité aux voyageurs, rachètent les captifs, construisent des églises? Pourquoi ne pas faire le mal pour de si bonnes fins, quand .de, si bonnes fins l'empêchent d'être mal? Et si certaines femmes impudiques et riches paraissent disposées à enrichir leurs amants, les auteurs mêmes de leur déshonneur, pourquoi un homme compatissant ne se tournerait-il pas de ce côté, n'emploierait-il pas ce moyen, puisqu'il aurait l'excellente intention de se procurer de quoi donner aux pauvres, au mépris, il est vrai, de ce que dit l'Apôtre : « Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais. plutôt qu'il s'occupe, en travaillant de ses mains, à ce qui est bon, pour avoir de quoi donner à qui souffre du besoin1 ? » Car alors, non-seulement le vol, mais aussi le faux témoignage, l'adultère et toute action mauvaise cessera d'être mauvaise, deviendra -même bonne, si on la commet dans le but de se procurer de quoi faire le bien. Qui osera dire cela,- à moins de vouloir mettre sens dessus dessous l'humanité tout entière, et les moeurs et les lois? En effet, quel attentat si horrible, quel crime si odieux, révoltant, quel sacrilège si impie qu'on ne puisse déclarer bon et juste, non-seulement impunissable, mais même. glorieux; non-seulement à l'abri de tout châtiment, mais même digne de récompense; si une fois nous accordons que, dans toutes les mauvaises actions des hommes, il ne s'agit pas de ce qui se fait, mais du but pour lequel on le fait, en . sorte que tout acte inspiré par un bon motif, soit pour cela même déclaré innocent? Mais si la justice a raison de punir le voleur, même quand il affirme et démontre qu'il a enlevé le superflu aux riches pour donner le nécessaire aux pauvres; si elle a raison de punir le faussaire, même quand il prouve qu'il a changé un testament pour que l'héritage passe à un homme qui saura en faire d'abondantes aumônes, et non à celui qui n'en ferait point; si elle a raison de punir l'adultère, même quand il fait voir qu'il a commis le crime par compassion, pour délivrer quelqu'un de la mort au moyen de celle avec qui il a péché; et enfin, pour mieux entrer dans notre sujet, si elle a raison de punir celui qui a commis l'adultère avec une femme priscillianiste, dans le but de pénétrer les secrets de la secte : de grâce, après que l'Apôtre a dit : « N'abandonnez point vos membres au péché, comme des instruments d'iniquité2 », et que nous ne devons par conséquent pas prêter au crime les mains, les parties sexuelles, ni aucun autre membre, pour pouvoir découvrir des Priscillianistes : de grâce, quel mal nous a fait notre langue, notre bouche tout entière, nôtre voix, pour les abandonner au péché comme des instruments, et à un péché aussi monstrueux que de blasphémer notre Dieu, sans pouvoir prétexter d'ignorance, et cela pour découvrir des Priscillianistes et les empêcher de blasphémer sans le savoir?
