4.
Il y a bien des espèces de mensonges, et nous devons tous les détester sans exception. Car il n'y en a point qui ne soit contraire à la vérité. La vérité et le mensonge sont opposés comme la lumière et les ténèbres, la piété et l'impiété, la justice et l'injustice, une bonne et une mauvaise action, la santé et la maladie, la vie et la mort. Autant nous aimons la vérité, autant nous devons haïr le mensonge. Cependant, il y a des mensonges qui ne sont point dangereux à croire; toutefois, celui qui les profère dans l'intention de tromper, se fait tort à lui-même, mais non à celui qui le croit. Par exemple, si ce serviteur de Dieu, Fronto, eût mêlé quelques mensonges (ce qu'à Dieu ne plaise !) à tout ce qu'il a rapporté, il se fût sans doute nui à lui-même, mais non à toi qui aurais innocemment cru son récit entièrement vrai. Dans ce cas, que la chose se soit passée de telle façon ou de telle autre, celui qui croit qu'elle a eu lieu ainsi, bien qu'il en soit autrement, ne saurait être jugé digne de blâme d'après les règles de la vérité et la doctrine du salut éternel. Mais si le mensonge est de telle nature qu'on ne puisse le croire sans se séparer de la doctrine du Christ, celui qui le profère est d'autant plus coupable, que celui qui le croit est plus malheureux. Vois donc ce que c'en serait, si nous mentions contre la doctrine du Christ et donnions ainsi la mort à ceux qui nous croiraient, et cela, dans le but de découvrir les ennemis de cette même doctrine et de les attirer à la vérité pendant que nous nous en écartons; au plutôt si, pour gagner des menteurs par des mensonges, nous leur apprenions à mentir d'une manière plus criminelle !
Autre chose en effet est ce qu'ils disent quand ils mentent, autre chose ce qu'ils disent quand on les trompe. Quand ils enseignent leur hérésie, ils proclament l'erreur qu'on leur a enseignée; mais quand ils disent qu'ils pensent ce qu'ils ne pensent pas, ou qu'ils ne pensent pas ce qu'ils pensent, ils profèrent un mensonge. En ajoutant foi à leur parole, on ne les gagne pas, mais du moins on ne périt pas avec eux. Car ce n'est pas s'écarter de la doctrine catholique que de croire catholique un hérétique qui professe les dogmes catholiques sans y croire : par conséquent, on n'en souffre pas, parce que si on se trompe dans la secrète pensée d'un homme dont on ne peut juger, on ne se trompe pas du moins sur la loi de Dieu qu'on doit garder en son coeur. Mais quand ils enseignent leur hérésie, celui qui l'admet et croit que c'est la vérité, participe à leur erreur et à leur condamnation. De là il résulte que quiconque croit aux dogmes pervers, dont l'erreur mortelle les a séduits, périt; et que quand nous prêchons la doctrine catholique, par laquelle nous possédons la vraie foi, si un de ces hérétiques y croit, il est arraché à la mort. Quand donc, quoique priscillianistes , ils se disent faussement des nôtres, pour cacher leur venin, celui d'entre nous qui croit à cette affirmation menteuse, reste néanmoins catholique; mais si, au contraire, pour parvenir à les découvrir, nous nous déclarons faussement priscillianistes, nous serons obligés d'approuver leurs dogmes comme si c'étaient les nôtres, et quiconque y ajoutera foi, ou sera confirmé de plus en plus dans leur erreur, ou s'empressera d'y passer. Qu'arrivera-t-il ensuite? Sauverons-nous plus tard, en disant la vérité, ceux qui ont été trompés par nos mensonges? Voudront-ils écouter un maître qu'ils connaîtront par expérience pour un menteur? Cela est-il sûr? Qui ne voit que cela ne l'est pas?
D'où je conclus qu'il est plus pernicieux, ou pour adoucir le terme, plus dangereux aux catholiques de mentir pour découvrir les hérétiques, qu'aux hérétiques de mentir pour échapper aux catholiques. La raison en est que quiconque croit aux catholiques qui mentent pour le sonder, ou devient hérétique, ou s'affermit dans l'hérésie ; tandis que tout catholique qui ajoute foi aux hérétiques, s'abritant sous le voile du mensonge, ne cesse pas d'être catholique. Pour mieux éclaircir la question, faisons une supposition prise en grande partie dans les écrits que tu m'as envoyés et chargé de lire.
