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Ajoutons, chose plus déplorable encore, que si une fois nous accordons qu'il soit permis de sauver ce malade par un mensonge à l'occasion de son fils, le mal va croître peu à peu, insensiblement et par de faibles degrés s'élever à une telle montagne de mensonges criminels, qu'il n'y aura plus moyen d'opposer un obstacle à un désastre, devenu immense par une suite d'additions successives. Aussi est-ce avec une grande sagesse qu'il est écrit : « Celui qui dédaigne les petites choses, tombera peu à peu1 ». Mais quoi ! ces hommes si attachés à la vie présente jusques là qu'ils n'hésitent pas à la préférer à la vérité,-ne veulent-ils déjà pas nous obliger, non-seulement à mentir, pour empêcher un homme de mourir c'est-à-dire pour retarder une mort inévitable, mais encore à nous parjurer, à prendre en vain le nom du Seigneur notre Dieu, pour prolonger un instant une vaine existence ? Et il y a parmi eux des savants qui donnent des règles, fixent des bornes et déterminent les cas où l'on doit ou ne doit pas se parjurer. O fontaines de larmes, où êtes-vous ? Que ferons-nous ? Où irons-nous? où nous déroberons-nous au courroux de la vérité, si non-seulement nous tenons peu de compte du mensonge, mais si nous osons enseigner le parjure ? Que les partisans et les docteurs de mensonge avisent à voir quelle espèce ou quelles espèces de mensonge il leur plaît d'autoriser; mais qu'au moins ils accordent qu'il n'est pas permis de mentir en ce qui touche au culte de Dieu; qu'ils s'interdisent au moins les parjures et les blasphèmes: quand le nom de Dieu est invoqué, quand on le prend à témoin, quand on jure par lui, qu'au moins personne ne mente, personne n'applaudisse, personne n'enseigne et ne commande le mensonge, personne ne dise qu'il est juste. Quant aux autres genres de mensonge, que chacun choisisse celui qui lui paraît le plus humain, le plus innocent, ainsi que les personnes à qui il devra l'adresser : ce que je sais c'est que celui même qui enseigne qu'il faut mentir, veut passer pour enseigner la vérité. En effet si ce qu'il enseigne est faux, qui voudra s'attacher à une doctrine, où le maître trompe, où le disciple est trompé ? Mais si pour trouver quelques disciples, il affirme qu'il enseigne la vérité , en enseignant qu'il faut mentir; comment ce mensonge viendra-t-il de la vérité, quand l'apôtre saint Jean nous crie : «Aucun mensonge ne vient de la vérité2 ? » Il n'est donc pas vrai qu'il faille mentir quelquefois, et ce qui n'est pas vrai ne doit être conseillé à personne.
