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Pour prouver donc que ce que l'on croit mensonge dans certains passages des Ecritures, n'en est réellement pas si on sait en saisir le véritable sens, tu as à ta disposition un argument qui n'est pas sans valeur : c'est que tous les exemples que l'on cite sont tirés des écrits des prophètes, et aucun de ceux des apôtres. En effet tous les cas de mensonges qu'on désigne spécialement se trouvent dans ces Livres où .sont consignés, non-seulement des paroles, mais une multitude de faits significatifs, et qui se sont réellement produits comme figures. Or ce qui semble mensonge dans une figure, se trouve vérité quand on le comprend bien. Mais le langage des Apôtres dans leurs épîtres a été tout autre; c'est dans un genre bien différent que sont écrits les actes des apôtres; vu que le Nouveau Testament, annoncé sous le voile des figures prophétiques, était enfin révélé. En résumé, dans tant de lettres des apôtres, et dans ce livre si important où leurs actes sont racontés par une autorité authentiquement reconnue, on ne trouve pas un seul personnage qui ait proféré un mensonge dont puissent s'autoriser ceux qui soutiennent qu'il est permis de mentir. Car la dissimulation de Pierre et de Barnabé obligeant les gentils à judaïser, a été justement blâmée et corrigée, soit pour obvier au mal qu'elle pouvait produire alors, soit pour qu'on ne pût s'en prévaloir dans la suite. En effet l'apôtre Paul voyant qu'ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l'Evangile, dit à Pierre devant tous : « Si toi, étant juif, tu vis à la manière des Gentils, et non en juif, comment forces-tu les Gentils à judaïser1? »
Quant à lui, si pour faire voir qu'il n'était point l'ennemi de la loi et des prophètes, il a conservé et pratiqué certaines observances légales, gardons-nous de croire qu'il ait menti en cela. On sait assez quelle était sa pensée là-dessus et le décret qui s'ensuivit : Qu'on ne contrarierait point les Juifs restés fidèles aux traditions de leurs pères, et qu'on n'imposerait point ces traditions aux gentils devenus chrétiens; afin que d'une part, on ne se crût point obligé d'éviter comme sacrilèges, des prescriptions qui étaient certainement venues de Dieu; et que, de l'autre, on ne les regardât point, après la révélation du nouveau Testament, comme nécessaires, en ce sens que ceux qui seraient convertis à Dieu ne pussent se sauver sans elles. Car il y avait des hommes qui le pensaient et le prêchaient, même après la réception de l'Evangile, et Pierre et Barnabé les approuvaient par dissimulation; voilà pourquoi ils forçaient les gentils à judaïser. Car c'était les forcer que de proclamer ces observances comme tellement nécessaires que, sans elles, il n'y eût pas de salut dans le Christ après la réception de l'Evangile. Voilà ce que quelques-uns croyaient par erreur, ce que Pierre faisait semblant d'admettre par peur et ce que Paul blâmait en toute liberté. Et s'il dit : « Je me suis a fait tout à tous pour les sauver tous », il faut voir là un sentiment de compassion, et non un mensonge. En effet on se fait comme celui à qui l'on veut prêter secours, quand on est assez miséricordieux pour rendre à un autre le service que l'on voudrait soi-même recevoir, si l'on se trouvait dans le même état d'infortune. On se fait comme lui, non pour le tromper, mais parce qu'on se figure être à sa place. C'est ce qui dicte à l'apôtre ces paroles que j'ai déjà citées plus haut : « Mes frères, si un homme est tombé par surprise dans quelque faute, vous qui êtes spirituels, instruisez-le en esprit de douceur, regardant à toi-même, de peur que toi aussi tu ne sois tenté2 ». Et si pour avoir dit : « Je me suis fait comme juif avec les Juifs, pour gagner les Juifs; et avec ceux qui sont sous la loi, comme si j'avais été sous la loi3 », Paul doit être soupçonné de n'avoir pratiqué que par mensonge les sacrements de l'ancienne loi, il faudra aussi dire qu'il a embrassé par mensonge l'idolâtrie des gentils, parce qu'il ajoute qu'il s'est fait, avec ceux qui étaient sans loi, comme s'il eût été sans loi, afin de les sauver : crime qu'il n'a certainement pas commis. Car nulle part il n'a sacrifié aux idoles, ni ne les a adorées; il les a bien plutôt dénoncées comme des objets détestables et dignes de toute aversion, avec la liberté d'un martyr du Christ. On ne cite donc aucun exemple de mensonge à imiter dans les actes et les paroles des apôtres.
Quant aux faits ou aux paroles prophétiques› nos adversaires se croient autorisés à les invoquer, parce qu'ils prennent les figures prophétiques, pour des mensonges, vu qu'elles en ont l'air quelquefois. Mais quand on les rapporte aux choses qu'elles avaient pour but d'annoncer soit en actions, soit en paroles, on trouve que ce sont de vraies prophéties, et point du tout des mensonges. Car mentir c'est exprimer une fausseté avec intention de tromper. Or il n'y a point de fausseté là où, bien qu'une chose soit exprimée au moyen d'une autre, la signification se trouve cependant vraie si on sait exactement la saisir.
