3.
Cette opinion déshonore les saints martyrs; elle fait même disparaître jusqu'à la notion du martyre. D'après les Priscillianistes en effet, les martyrs eussent agi plus convenablement et plus sagement, en ne confessant pas à leurs persécuteurs qu'ils étaient chrétiens, et en leur évitant par là de devenir homicides; en mentant, au contraire, et en reniant leur foi, ils eussent sauvé tout à la fois leur corps et les bonnes dispositions de leur coeur, et empêché leurs ennemis d'exécuter leur criminel dessein. Car enfin les païens n'étant pas leur prochain dans la foi chrétienne, ils n'étaient point obligés de leur dire de bouche la vérité qu'ils professaient dans leur coeur; ils voyaient même en eux des ennemis de cette vérité. Car si Jéhu; que ces hérétiques semblent surtout se proposer comme le modèle d'un sage et habile menteur, se déclara faussement serviteur de Baal, afin de mettre à mort les serviteurs de cette idole; avec combien plus de raison, d'après cette opinion perverse, les serviteurs du Christ auraient-ils dû, dans le temps des persécutions, se donner pour des esclaves des démons, afin d'empêcher les esclaves des démons de mettre à mort les serviteurs du Christ, et sacrifier aux idoles pour épargner des meurtres, comme Jéhu sacrifia à Baal pour devenir homicide? Quel tort se seraient-ils fait, d'après cette belle doctrine de menteurs, en se prêtant de corps au culte du démon, tandis que leur cœur fût resté fidèle au culte de Dieu? Mais ce n'est pas ainsi que les vrais, que les saints martyrs du Christ ont compris l'Apôtre. Ils avaient lu, ils avaient retenu ce qui est écrit : « On croit de cœur pour la justice, et on confesse de bouche pour le salut1 », et encore : « Dans leur bouche il ne s'est point trouvé de mensonge2 » ; ils s'en sont allés irréprochables là où ils n'auront plus à se tenir en garde contre les piéges des menteurs, parce que, dans leurs célestes demeures, il n'y aura plus de prochain ni d'étranger capables de mentir. Quand même l'Ecriture n'eût point dit ce que c'était que Jéhu, ils ne l'eussent point imité, recherchant, au moyen d'un mensonge impie et d'un sacrifice sacrilège, des impies et des sacrilèges pour les mettre à mort. Mais puisqu'il est écrit qu'il n'avait point le cœur droit devant Dieu, à quoi lui a servi de recevoir une royauté temporelle, éphémère récompense de l'obéissance qu'il mit à détruire entièrement la maison d'Achab, dans des vues d'ambition personnelle3 ? Je t'engage plutôt, mon frère, à défendre la conduite des martyrs inspirée par l'amour de la vérité, et à soutenir la vérité et non le mensonge contre les docteurs du mensonge. Pèse mûrement ce que je viens de dire, je t'en prie, et tu verras combien il faut se défier d'un zèle, louable peut-être, mais cependant imprudent, qui enseigne un tel moyen pour découvrir et corriger les impies, ou du moins tenir en garde contre eux.
