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On nous oppose aussi quelquefois le danger du salut éternel qu'il faut, nous criet-on, écarter par notre mensonge, si nous ne le pouvons autrement: par exemple un homme à baptiser est au pouvoir des impies et des infidèles, et on ne peut parvenir jusqu'à lui pour le purifier par le bain de la régénération qu'en trompant les gardes par un mensonge. Pour échapper à ce cri de l'envie, qui veut nous forcer à mentir, non plus pour sauver les richesses ou les honneurs éphémères de cette vie, mais pour le salut éternel du prochain, à qui recourrai-je sinon à toi, ô Vérité ? C'est en ton nom qu'on me propose d'être chaste. Quoi 1 si l'on pouvait obtenir de ces gardes, au prix d'une fornication, la permission d'aller baptiser cet homme, nous ne voudrions point commettre cette faute contre la chasteté ; et si nous pouvions les tromper par un mensonge, nous pécherions contre la vérité? Mais il est incontestable que personne n'aimerait la chasteté et ne lui resterait fidèle, si elle n'était commandée par la Vérité. Qu'on trompe donc les gardes pour parvenir à cet homme, si la Vérité l'exige. Mais comment la Vérité exigera-t-elle qu'on mente pour baptiser un homme, si la chasteté n'exige pas qu'on commette l'adultère pour obtenir le même résultat? Et pourquoi la chasteté ne l'exige-t-elle pas, sinon parce que la vérité ne l'enseigne pas ? Si donc nous ne devons faire que ce que la Vérité enseigne, et si la Vérité nous enseigne que nous ne devons pas violer la chasteté, même dans le but de baptiser un homme ; comment cette même Vérité nous apprendra-t-elle que nous devons, dans le cas susdit, faire ce qui lui est directement contraire ?
Mais comme les yeux trop faibles pour contempler le soleil, regardent avec plaisir les objets que le soleil éclaire; ainsi les âmes qui peuvent déjà goûter la beauté de la chasteté, ne sont cependant pas capables pour autant de contempler en elle-même la vérité dont la chasteté emprunte son éclat, jusqu'au point de rejeter avec horreur dans l'occasion tout ce qui pourrait la blesser, comme ils repoussent avec indignation tout ce qu'on lui propose de contraire à la chasteté. Mais l'enfant que sa fidélité à garder la parole éloigne de la perdition et dont la bouche ne profère rien de faux1, ne se croit pas plus permis de venir en aide à son prochain par le mensonge, que par un crime contre la chasteté. Or le Père exauce sa prière et fait qu'il puisse aider sans mensonge celui à qui lui-même, dans ses impénétrables jugements, veut que le secours soit porté. Cet enfant se garde du mensonge comme d'un péché; car quelquefois on emploie le mot de mensonge pour désigner le péché, comme dans ce passage du psaume « Tout homme est menteur2 » ; ce qui revient à dire : tout homme est pécheur. Et encore dans ce texte de l'Apôtre: « Mais si, par mon mensonge, la vérité de Dieu a éclaté davantage3 ». Ainsi en mentant comme homme, on pèche comme homme, et c'est le sens de ces mots: «Tout homme est menteur », et de ceux-ci : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est pas en nous4 ». Mais quand rien de faux ne sort de la bouche, on en est à ce degré de grâce dont il est dit « Quiconque est né de Dieu, ne pèche pas5 ». S'il n'y avait en nous que cette sorte de naissance, personne ne pécherait; et quand elle existera seule , personne ne péchera plus. Maintenant, hélas ! nous traînons encore la corruption dans laquelle nous sommes nés ; quoique, en tant que régénérés, nous soyons renouvelés intérieurement de jour en jour6, si nous marchons droit. Mais quand ce corps corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, la vie l'absorbera tout entier et l'aiguillon de la mort n'existera plus. Or, l'aiguillon de la mort, c'est le péché7.
