14.
Ecoutez bien, mes frères ! « Et ils laisseront leurs richesses à l’étranger». Il semble que le Prophète regarde comme une malédiction que des étrangers possèdent leurs biens après leur mort. Bienheureux alors ceux qui laisseront leurs biens à leurs enfants, qui ont les leurs pour héritiers? Avoir des enfants, c’est n’être point mort. Que font les enfants? Ils conservent à leur tour ce que leur omit laissé les parents ; et même c’est peu de le conserver, ils l’augmentent. Et pour qui conservent-ils ces richesses? Pour leurs enfants, et ceux-ci à leur tour pour leurs enfants, et ces troisièmes pour leurs enfants encore. Qu’y aura-t-il donc pour le Christ ? Qu’y aura-t-il pour leur âme? Tout sera-t-il pour les enfants? Entre tous ces enfants qu’ils ont sur la terre, qu’ils daignent compter un frère qu’ils ont au ciel, à qui ils auraient dû tout donner, ou du moins partager avec lui. Toutefois, me dira quelqu’un : Voilà ceux que maudit l’Ecriture: ceux qui meurent sans laisser à leurs enfants leur héritage ; elle appelle heureux celui qui leur laisse ses possessions. Pour moi, qui prête mon oreille à la vérité, je veux examiner ce sens, et je trouve que l’Ecriture n’a rien dit en vain. Je vois mourir en effet beaucoup de méchants qui ont leurs fils pour héritiers; et I’Ecriture n’a pu parler de manière à les séparer de ces misérables dont elle condamne la conduite ; et quel peut être mon sens, croyez-vous, mes frères, sinon que tous les hommes de cette sorte laisseront leurs biens à des étrangers? Comment leurs fils seront-ils des étrangers? Les fils des méchants sont des étrangers; nous voyons en effet qu’un étranger devient le prochain d’un autre, dès qu’il lui rend service. Qu’un des vôtres ne vous rende aucun service, il vous devient étranger. Où trouvons-nous donc un étranger dont ses services ont fait un proche? Dans l’Evangile. Un homme blessé par des voleurs gisait sur le grand chemin, et le Seigneur avait dit à quelqu’un : « Tu aimeras le prochain comme toi-même ; et cet homme avait répondu: Qui donc est mon prochain? et le Seigneur lui dit qu’un homme allant de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs qui le laissèrent à demi-mort »; que ses proches passèrent; car c’était un juif qui allait aussi de Jérusalem à Jéricho; « et que le prêtre qui vint sur ces entrefaites passa outre ; qu’un lévite vint aussi et passa de même; qu’un Samaritain vint à passer », et que ce Samaritain, que je ne connais point, mais qui était étranger au blessé, « s’approcha de lui, considéra sa misère, soigna ses plaies par pitié, le mit sur son cheval, le conduisit dans une hôtellerie et le recommanda au maître de l’hôtellerie». Tout cela est une parabole qu’il me serait trop long d’expliquer; mais, pour en revenir à ce que j’ai avancé, mes frères, le Seigneur demanda: « Lequel des trois qui passèrent fut le prochain du blessé? et le docteur de la loi répondit : Je crois que c’est celui qui eut pitié de lui. Allez », dit le Sauveur, « et faites de même1 ». Celui-là donc est votre prochain à qui vous faites miséricorde. Si donc un Samaritain est devenu le prochain de ce blessé par la pitié qu’il en eut, par les secours qu’il lui porta; quiconque ne peut te venir en aide au moment des afflictions, devient pour toi un étranger. Revenons donc à ces riches qui ont vécu dans le crime, qui ont agi avec orgueil, qui sont morts en laissant leurs richesses, je ne dis pas à des étrangers, mais à des fils, et à des fils qui vivront comme leurs pères, qui seront superbes comme eux , voleurs comme eux, avares comme eux : ces fils leur sont étrangers. Et afin que vous compreniez bien qu’ils leur sont étrangers, les héritiers de ce riche de l’Evangile que dévoraient les flammes, le secoururent-ils? Mais, direz-vous, peut-être n’eut-il point d’héritiers naturels, et ses biens passèrent-ils à des étrangers? L’Evangile nous dit qu’il avait des héritiers ; car il s’écrie:
« J’ai cinq frères ». Ses frères ne purent alors le secourir au milieu des flammes dévorantes. Que dirait ce riche aujourd’hui? « J’ai cinq frères2 », et j’ai négligé de me faire un ami de celui qui gisait autrefois à ma porte : ces frères qui possèdent mes biens ne peuvent me secourir, et sont des étrangers pour moi. Vous le voyez donc, tous ceux qui vivent mal laissent leurs biens à des étrangers.
