XX.
Texte de la lettre : « C'est par son Verbe éternel, Jésus-Christ Notre-Seigneur, que le Dieu tout-puissant créa l'homme à son image et lui donna le libre arbitre. Car il est écrit : Dieu créa l'homme et l'abandonna entre les mains de son libre arbitre1.
Pourquoi donc un pouvoir humain viendrait-il m'arracher un bien que je ne tiens que de Dieu? Excellence, comprenez de quels sacrilèges se rendent coupables contre Dieu ceux qui poussent la présomption humaine jusqu'à vouloir nous arracher ce qu'il nous a donné, en prétendant vainement que c'est pour Dieu qu'ils en agissent ainsi. Quelle plus grande injure peut-on faire à Dieu que de soutenir qu'il a besoin d'être défendu par les hommes? Quelle idée peut donc se faire de Dieu celui qui croit devoir le défendre par la violence, comme s'il ne pouvait lui-même venger les injures qui lui sont faites?» Réponse: Qu'on accepte vos raisons aussi vaines que fallacieuses, aussitôt les rênes sont lâchées à toutes les passions humaines, tous les péchés restent impunis, aucune barrière n'est plus là pour s'opposer au déchaînement des vices, à la haine incessante de la concupiscence contre les lois divines et humaines; le roi à l'égard de son royaume, le général à l'égard du soldat, le juge à l'égard de ses subordonnés, le maître à l'égard de son serviteur, le mari à l'égard de sa femme, le père à l'égard de son fils se trouvent désormais impuissants devant la liberté et la suavité du péché ; ni menaces ni châtiments ne leur sont plus possibles. Détruisez la saine doctrine proclamée par l'Apôtre et sur laquelle reposent la moralité et la guérison de l'univers tout entier; pour affermir les enfants de la perdition dans l'usage, d'autant plus criminel qu'il est plus libre, de leur liberté, détruisez ces belles paroles du vase d'élection: « Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures ; car toute puissance vient de Dieu. Or, tout ce qui vient de Dieu est dans un ordre parfait. C'est pourquoi celui qui résiste au pouvoir, résiste à l'ordre établi par Dieu, et ceux qui y résistent, s'acquièrent des droits à la condamnation. En effet, les princes ne sont pas établis pour faire trembler les bons, mais pour punir les méchants. Voulez-vous donc n'avoir rien à craindre du pouvoir? faites le bien et il vous comblera d'éloges. Le pouvoir est le ministre de Dieu, établi pour punir celui qui fait le mal2 ». Détruisez ces maximes, si vous le pouvez; ou si vous ne pouvez les détruire, méprisez-les comme vous le faites. Sur tous ces points donnez un libre cours à votre liberté criminelle, sous prétexte de conserver votre libre arbitre. Ou bien, comme les hommes ont coutume de rougir de leurs semblables, écriez-vous, si vous l'osez :Qu'on punisse les homicides, qu'on punisse les adultères, qu'on punisse tous les autres crimes, mais nous voulons que les lois laissent les sacrilèges impunis. N'est-ce point là l'enseignement que vous proclamez, quand vous osez dire . « Peut-on faire à Dieu une plus grande injure que de charger les hommes de défendre sa cause? Quelle idée peut donc avoir de Dieu celui qui veut soutenir ses intérêts par la violence? croit-il donc que Dieu ne peut pas venger ses propres injures? » Est-ce qu'un tel langage ne revient pas à dire Nous ne voulons pas qu'aucune puissance humaine enchaîne notre libre arbitre, quand il nous plaît de faire injure à Dieu? O douleur! combien les siècles qui ont précédé notre naissance doivent regretter de n'avoir pas connu une semblable doctrine ! Aurait-on vu Moïse pardonner avec autant de facilité les injures qui lui étaient faites à lui-même, et s'armer de toute la sévérité possible contre les injures faites à son Dieu? Vous, grand docteur, vous vous écriez d'un ton que peut seul inspirer une présomption hérétique et jalouse : «Dieu a créé l'homme et l'a abandonné entre les mains de son libre arbitre. Pourquoi donc un ordre humain viendrait-il me priver d'un « don que Dieu seul m'a départi? » Vous voulez donc que pour offenser votre Dieu, qui a créé l'homme avec le libre arbitre, votre liberté ne doive vous être ravie par aucun homme? Souvenez-vous du décret lancé par le roi Nabuchodonosor, et qui menaçait de mort et des plus grands châtiments pour lui et pour toute sa famille quiconque blasphémerait le Dieu de Sidrach, de Misach et d'Abdénago3; tous ses sujets ne pouvaient-ils pas lui répondre :
« Quelle plus grande injure peut-on faire à Dieu, que de charger les hommes de défendre ses droit? Quelle idée peut avoir de Dieu celui qui veut le défendre par la violence, comme s'il ne pouvait pas lui-même venger ses propres injures? » Les Babyloniens auraient pu tenir ce langage, et peut-être l'ont-ils tenu. En supposant même que leur liberté fût plus restreinte, leur vanité n'eût pas été moins grande.
