XXV.
Or, si le titre de persécuteur n'appartient qu'à celui qui crucifie dans les douleurs ou veut retenir son ennemi pour le crucifier, soyez persuadé que le bourreau du coeur n'est pas moins cruel que le bourreau du corps, et comprenez quelle persécution souffrait celui qui disait dans le psaume: « J'ai vu les insensés et j'en séchais de douleur1 ». Telle est la persécution que le juste Loth souffrait à Sodome, même avant d'avoir donné l'hospitalité aux anges que les Sodomites prirent pour des hommes, et sur lesquels ils voulaient assouvir les plus farouches instincts de la lubricité2. Cet homme juste ne devait-il pas éprouver un cruel crucifiement du coeur, quand il voyait ses concitoyens afficher aussi publiquement leurs turpitudes et les étaler outrageusement devant sa propre demeure ?
Aussi ne nous étonnons pas d'entendre l'Apôtre exposer en ces fermés l'une de ses plus cruelles persécutions : « Qui est faible, sans que je le devienne moi-même ?qui est scandalisé, sans que je brûle moi-même3 ? » Dès lors, plus est ardente notre charité pour Jésus-Christ, plus nous souffrons intérieurement de voir qu'ayant les sacrements de Jésus-Christ, vous êtes séparés des membres de Jésus-Christ, vous vous révoltez contre la paix de Jésus-Christ. Mais pendant que vous êtes en vie, nous n'avons pas perdu toute espérance ; quand, au contraire, nous vous voyons mourir dans le schisme, notre douleur devient beaucoup plus amère. Enfin, quand vous vous tuez vous-mêmes, soit en vous précipitant sur des armes étrangères, soit en vous jetant de vous-mêmes dans les flots ou dans les flammes, nos souffrances pour vous ne connaissent plus de bornes. La mort de l'impie Absalon fut pour David un coup mille fois plus terrible que ne l'avait été la révolte de ce fils dénaturé4.Tant qu'il vécut, David désira s'emparer de sa personne, afin de le ramener à des sentiments de repentir, et de le guérir de ses instincts dépravés. Absalon était donc véritablement le persécuteur de son père, non-seulement parce qu'il semait la division dans le peuple de Dieu, non-seulement parce qu'il portait les armes et combattait contre les lois de Dieu et contre le royaume légitime de son père, mais surtout parce qu'en mourant dans sa révolte, il fit une blessure sanglante et éternelle au coeur de son père. Voilà pourquoi cet excellent père avait senti l'espérance de sécher ses larmes, pendant que son enfant criminel vivait encore, tandis qu'il perdit toute espérance avec sa vie, et n'eut plus après sa mort, qu'à verser des larmes brûlantes et désespérées. Il avait donc compris longtemps par avance cette parole de l'Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ, souffriront persécution ». Lors même que les Donatistes n'auraient pas détruit les demeures des catholiques; lors même qu'ils n'auraient pas brûlé les églises catholiques; lors même qu'ils n'auraient pas jeté dans les flammes les manuscrits sacrés; lors même qu'ils n'auraient pas exercé sur la personne des catholiques des cruautés sans nom; lors même qu'ils ne leur auraient pas coupé les membres, arraché les yeux; lors même, enfin, qu'ils ne les auraient pas cruellement immolés, nous pourrions dire encore que nous souffrons à cause de vous une terrible persécution ; et cela, parce que vous voyant insensés, nous en séchons de douleur; parce qu'en vous voyant faibles, nous nous affaiblissons nous-mêmes; parce qu'en vous voyant scandalisés, nous brûlons; parce qu'en vous voyant perdus, nous pleurons. Ces maux qui vous précipitent dans la damnation éternelle, sont pour nous la cause d'une persécution plus cruelle que celle que vous avez pu nous infliger en vous attaquant à nos corps, à nos biens, à nos demeures, à nos églises. Nous souffrons moins quand nous vous voyons exercer votre barbarie contre nous, que quand nous vous voyons périr éternellement. Tant qu'il ne s'agit contre nous que d'une persécution extérieure, nous éprouvons une joie mêlée de reconnaissance; mais s'agit-il de vous voir périr, si nous étions assez malheureux pour nous en réjouir, nous péririons avec vous. Pendant que vous êtes en vie, nous espérons toujours; mais quand nous vous voyons mourir dans cette impiété , quand surtout vous vous ôtez l'existence avec un raffinement de barbarie extrême, notre tristesse est à son comble, et nous n'avons plus pour nous consoler d'autre motif que celui qui consolait David après la mort d'Absalon, la pensée que le peuple de Dieu, jusque-là cruellement divisé, va se réunir enfin dans une sainte et éternelle unité. Que quelques-uns d'entre vous, des plus obstinés, se fassent périr eux-mêmes dans les flots ou dans les flammes, c'est un affreux malheur; mais enfin ce malheur paraît tolérable, quand on pense à ces multitudes de peuples dont ils empêchaient le salut et qu'ils auraient entraînés avec eux dans les flammes éternelles de l'enfer. Jamais donc l'Eglise de Jésus-Christ ne manquera de motif pour réaliser en elle cette parole de l'Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ, souffriront persécution»; car tous ceux qui vivent dans l'innocence, auront toujours à supporter les attaques des méchants, ou à pleurer sur leur sort quand ils les voient mourir dans leur état de réprobation.
