XXXIX.
Dès lors, de quelque manière que vous envisagiez les éloges accordés à Razias pour la sainteté de sa vie, toujours est-il que la sagesse ne loue pas sa mort, parce qu'il n'y a pas fait preuve de la patience gui sied si bien aux serviteurs de Dieu. On pourrait plutôt lui appliquer cette parole de la Sagesse, parole de blâme et non pas de louange : « Malheur à ceux qui ont perdu patience1 ! » Si vous admettez en principe que, du moment qu'un homme est loué, toutes ses actions peuvent être proposées comme modèles, ne devriez-vous pas conclure que Razias est supérieur à David? Pourquoi donc l'adultère et l'homicide commis par David, loin d'être proposés comme modèles pour tout homme de bien, inspirent-ils une profonde horreur? Est-ce que vous placez Razias au-dessus de Salomon? Et cependant oseriez-vous nous proposer comme modèle à imiter la conduite de Salomon avec ces femmes perverses dont il a subi les honteuses séductions jusqu'à élever pour elles des temples aux faux dieux2 ? Est-ce que vous placez Razias au-dessus de saint Pierre, à qui cette réponse: « Vous êtes le Christ, Fils de Dieu », a mérité de la part du Seigneur des éloges si éclatants, qu'il obtint de lui les clefs du royaume des cieux? Cependant vous n'oserez pas le proposer à notre imitation, au moment où il s'attire ce sanglant reproche : « Arrière, Satan, car ce ne sont pas les choses de Dieu, mais celles des hommes que tu goûtes3 ». Passant sous silence les reproches formels adressés par l'Écriture sainte à certains hommes qu'elle loue sous d'autres rapports ; me bornant exclusivement à des faits que l'Écriture nous raconte, sans les apprécier, ni en bien ni en mal, comme M'elle nous eût laissé à nous-mêmes le soin de les apprécier; est-ce que vous placerez Razias au-dessus de Noé ? Et cependant quel homme sobre félicitera Noé de l'état d'ivresse dans lequel il s'est trouvé4? Placerez-vous Razias au-dessus du patriarche Juda? Cependant est-il possible de l'approuver dans la fornication dont il se rendit coupable, non pas précisément avec sa belle-fille, dont il ignorait pour le moment la qualité, mais avec celle qu'il regardait comme une concubine ordinaire5? Placerez-vous Razias au-dessus de Samson? Et cependant oserez-vous louer ce dernier de s'être laissé prendre aux caresses d'une femme, jusqu'à perdre avec ses cheveux le secret de la force mystérieuse dont il était revêtu ? Quant à la mort qu'il se donna à lui-même, en s'écrasant avec ses ennemis sous les ruines d'une maison qu'il avait secouée jusque dans ses fondements, n'oubliez pas que la mort était devenue pour liai absolument inévitable, car il était condamné à périr bientôt de la main de ses ennemis6. Du reste, en agissant ainsi, il ne fit qu'obéir à l'inspiration de Dieu, qui se servit de lui comme d'un instrument pour accomplir ses desseins, et réaliser ce que Samson, abandonné à lui-même, aurait été impuissant à accomplir. De même, nous voyons Abraham parfaitement résolu à immoler son fils; un tel acte, dès lors que Dieu le commandait, était une preuve d'obéissance héroïque; en dehors de tout ordre de Dieu, il eût été un crime et une folie.
