I.
Comme la vérité paraît encore enveloppée de quelque nuage, ce qui arrive tant par l'ignorance du peuple qui est engagé en de vaines et ridicules superstitions, que par la faute des philosophes dont le travail ne sert souvent qu'à confondre les matières qu'ils traitent au lieu de les débrouiller, je souhaiterais avoir une éloquence non égale à celle de Cicéron, parce qu'elle était tout à fait extraordinaire et admirable, mais au moins approchant de la sienne, afin de pouvoir apporter à la vérité un secours d'une puissance égale à la sienne, et de répandre sa lumière, afin qu'elle dissipe entièrement les ténèbres et les erreurs que les peuples et les philosophes ont semées parmi les hommes. J'ai deux raisons qui me portent à faire ce souhait. L'une est que la vérité sera peut-être plus capable de plaire aux hommes, quand elle sera parée des ornements par lesquels le mensonge a coutume de les surprendre; l'autre que je serai bien aise de vaincre les philosophes avec les armes dans lesquelles ils mettent leur principale confiance. Mais parce que Dieu a voulu que la vérité fût plus agréable avec sa seule beauté naturelle qu'avec ces ornements étrangers qui ne serviraient qu'à la défigurer, au lieu que le mensonge serait horrible si on lui avait ôté le masque dont il est couvert, je me contente de la médiocrité démon esprit. Ce n'a pas été aussi dans mon éloquence, mais dans la vérité que j'ai mis ma confiance quand j'ai entrepris cet ouvrage. Il est peut-être au-dessus de mes forces, mais quand je succomberais sous le poids, j'espère que Dieu ne laisserait pas de faire triompher la vérité. Si les plus fameux orateurs perdent quelquefois des causes contre des avocats médiocres, parce qu'alors la vérité a la force de se maintenir toute seule par l'évidence qui l'environne, quel sujet aurais-je de craindre qu’en cette occasion, qui est une des plus importantes qui se puisse présenter, elle soit opprimée par des hommes qui ont beaucoup d'éloquence et beaucoup d'esprit, mais qui n'avancent que des faussetés manifestes. La vérité paraîtra fort claire, non de la clarté qu'elle tirera d'un discours aussi faible que le mien, mais de celle qu'elle a de son propre fonds. Quelque connaissance que les philosophes aient eue des sciences profanes, ils n'en ont eu aucune de la vérité, parce qu'elle ne s'acquiert ni par la voie de méditation, ni par celle de la discussion. Je ne les blâme pas d'avoir désiré de la connaître, parce que Dieu a mis ce désir dans le cœur de l'homme, mais je les condamne d'avoir travaillé inutilement, parce qu'ils ne savaient ni où était la vérité, ni de quelle manière ou par quel esprit il fallait se conduire en sa recherche. Ainsi ils se sont engagés dans l'erreur au temps même qu'ils prétendaient en délivrer les autres. La suite naturelle de mon sujet m'oblige à entreprendre dans ce livre-ci de les réfuter. Il n'y a point d'erreur qui ne procède ou d'une fausse religion, ou d'une fausse philosophie. Ainsi, pour renverser toutes les erreurs, il faut ruiner ces deux principes. L'Ecriture nous ayant appris qu'il n'y a que de la vanité dans les pensées des philosophes, il faut encore le faire voir par de solides raisons, de peur que quelqu'un surpris par le beau nom de la sagesse, ou ébloui par le faux éclat de l'éloquence, n'écoute plutôt la voix des hommes que celle de Dieu. Quand Dieu parle, il le fait simplement et en peu de paroles. Et certes, il n'était pas à propos qu'il en usât autrement, ni qu'il apportât des preuves, comme s'il ne méritait pas d'être cru sans en apporter. Il a parlé, non comme un philosophe qui raisonne et qui dispute, mais comme un juge souverain qui prononce des arrêts. Pour nous, qui avons des passages formels de l'Ecriture par lesquels nous prouvons tous les points de notre religion, nous ferons voir qu'il est facile d'établir la vérité puisque l'on parle quelquefois si avantageusement du mensonge qu'on le rend presque aussi croyable que la vérité. Nous ne devons donc pas redouter si fort l'éloquence des philosophes. Ils ont pu passer pour des hommes savants, mais ils n'ont pu passer pour des hommes véritables en leurs paroles, parce qu'ils n'ont pas appris la vérité de celui qui peut seul l'enseigner. Ce ne nous sera pas un notable avantage de les convaincre d'ignorance en un point où ils la reconnaissent eux-mêmes, parce qu'ils ne peuvent trouver de créance sur un sujet où ils en devaient pourtant plutôt trouver que sur un autre. Je tâcherai seulement de prouver qu'ils n'ont jamais rien avancé de si véritable, que quand ils ont avoué franchement qu'ils ne savaient rien.
