XXVII.
Les philosophes ne donnent-ils point de semblables préceptes ? Ils en donnent en grand nombre, et ils approchent souvent de la vérité. Mais ces préceptes-là n'ont aucun poids, parce qu'ils ne procèdent que d'une autorité humaine. Personne ne les reçoit avec respect parce que ceux qui les écoutent sont de même nature et de même condition que ceux qui les font. De plus, il n'y a rien de certain ni de constant dans ce que disent les philosophes. Ils n'ont souvent que des conjectures, et on trouve une merveilleuse diversité dans ce qu'ils avancent. Ce serait donc une folie de suivre des préceptes, de la vérité et de la justice desquels on a sujet de douter. Personne n'y défère, parce que personne ne veut travailler en vain. Les stoïciens assurent qu'il n'y a que la vertu qui rende la vie heureuse. Il n'y a rien de si vrai. Mais si un homme avec sa vertu souffre de la douleur, sera-t-il heureux au milieu des tourments et entre les mains des bourreaux ? La douleur ne servira qu'à éprouver sa constance ; et quoi qu'il souffre, il sera toujours fort heureux!
Epicure va plus loin. « Le sage, dit-il, est toujours heureux, et si on l'avait enfoncé dans le taureau de Phalaris, il dirait : je m'y trouve bien et j'y suis content. » Qui pourrait voir sans rire qu'un homme adonné à ses plaisirs contrefasse de la sorte l'homme de cœur, et qu'il porte la générosité plus loin qu'elle ne peut aller? Personne ne trouve de plaisir dans la douleur, c'est assez de la supporter avec constance. Que prétendez-vous, stoïciens et Epicure, quand vous dites que le sage est heureux dans les tourments? Si c'est la réputation d'avoir méprisé les tourments qui le rende heureux, peut-être qu'il mourra par l'excès de la douleur, et qu'il ne jouira pas du fruit de sa patience. Si c'est la mémoire que la postérité en conservera, il n'en saura rien s'il n'y a aucun sentiment après la mort, ou s'il y en a quelqu'un, il ne lui servira de rien de le savoir. Quelle sera donc la récompense de la vertu, et quel bonheur possédera-t-il ? Il en mourra plus content. Voilà une belle récompense qui ne dure qu'une heure, ou peut-être qu'un moment, et pour laquelle il faudrait nous rendre misérables durant toute notre vie? La mort n'emporte pas beaucoup de temps. Quand son heure est venue, il importe peu que l’on soit content de la recevoir, ou que l'on ne le soit pas. Ainsi on ne peut attendre aucune autre récompense de la vertu, que la gloire de l'avoir pratiquée. Mais cette gloire est souvent fort inutile. Souvent elle se dissipe et s'évanouit en un instant, et elle dépend quelquefois du mauvais jugement des hommes, auquel il ne faut avoir aucun égard. Il n'y a donc aucun fruit à recueillir d'une vie très faible et périssable, et ceux qui ont été dans ce sentiment, au lieu de voir la vertu, n'ont vu que son ombre. Ils sont demeurés attachés à la terre, au lieu de lever les yeux au ciel où la vertu paraît comme sur un trône. C'est pour cela qu'il s'est trouvé si peu de monde qui ait déféré à leurs préceptes. Car quand ils soutiennent la volupté, ils excitent au vice, et quand ils entreprennent la défense de la vertu, ils ne s'en acquittent que très faiblement, parce qu'ils ne proposent point d'autre châtiment au vice que le déshonneur, d'autre récompense à la vertu que la louange, en disant qu'elle ne doit être recherchée que pour elle-même. Le sage est donc heureux au milieu des tourments, mais c'est quand il souffre pour le service de Dieu, pour la défense de la foi et de la justice. Il n'y a que Dieu qui puisse honorer la vertu, parce qu'il n'y a que lui qui lui puisse donner l'immortalité, qui est la seule récompense qui soit digne d'elle. Ceux qui ne désirent pas cette immortalité ne sont pas dans la véritable religion, qui tend à la vie éternelle comme à sa fin. Ils ne connaissent ni la valeur de la vertu ni la récompense qu'elle mérite. Ils ne regardent pas le ciel quoiqu'ils croient le regarder quand ils y cherchent ce qu'ils n'y sauraient trouver, parce qu'il n'y a point d'autre raison de regarder le ciel que pour embrasser la religion qui en est venue, ou pour espérer l'immortalité qui nous est promise. Quiconque songe sérieusement au service qu'il doit à Dieu, et à l'immortalité qu'il espère, regarde le ciel par les yeux de l'esprit, bien qu'il ne le regarde peut-être pas par les yeux du corps. Ceux qui n'embrassent pas la religion qui est, comme je l'ai dit, descendue du ciel, demeurent attachés à la terre. Ceux qui croient que l'âme meurt avec le corps, rampent sur la terre de la même sorte, et ne voient rien au delà du corps qui n'est lui-même qu'un amas de terre. Il ne sert de rien à l'homme d'avoir la taille droite et de regarder le ciel, s'il ne songe à Dieu et s'il n'a une ferme espérance de posséder la vie éternelle.
