XXI.
Voyons ce que Platon a appris de Socrate, qui avait renoncé à la physique pour s'adonner tout entier à la morale. Je ne doute point qu'il n'ait fort bien traité des devoirs de la vie, et qu'il n'ait donné à ses disciples de fort bons préceptes de vertu et de justice; Platon lui aura sans doute oui dire que la justice consiste dans l'égalité, et qu'il n'y a aucune différence entre les hommes par le droit de leur naissance. « Pour être parfaitement égaux, dit-il, comme la justice le désire, ils ne possèdent rien en particulier. » S'il ne parle en cet endroit que de l'argent, cela se peut en quelque sorte tolérer. Il me serait pourtant aisé de faire voir que cela n'est ni juste ni faisable; mais supposant que cela est faisable, et que tous les hommes auront assez de sagesse pour mépriser l'argent et pour se mettre au-dessus de l'intérêt, suivons, pour voir jusqu'où sera la communauté qu'il veut introduire. Elle ira jusqu'au mariage. Plusieurs hommes s'assembleront comme des chiens autour d'une femme. Le plus fort en jouira, ou s'ils sont sages, et modérés comme des philosophes, ils attendront leur rang selon la police des lieux de débauche. Oh! la merveilleuse justice de Platon ! où est donc la continence? où est la fidélité des mariages? Sans elle il n'y a plus d'équité ni de justice. Le même Platon a dit que les États seraient heureux lorsqu'ils seraient gouvernés par des philosophes, et lorsque ceux qui les gouverneraient s'adonneraient à l'étude de la philosophie. Il fallait donner un royaume à un homme si juste et si équitable, qui avait ôté le bien à quelques-uns pour le donner à d'autres, et qui avait entrepris de prostituer toutes les femmes, ce que jamais aucun roi ni aucun tyran n'avait fait. Quelle raison a-t-il apportée pour faire recevoir un si infâme projet ? « Les citoyens, a-t-il dit, vivront dans une plus parfaite intelligence, et seront unis ensemble par le lien d'une plus étroite amitié, quand les hommes seront maris de toutes les femmes et pères de tous les enfants. » Quelle étrange confusion ! Une amitié qui n'a point d'objet certain peut-elle être fort grande? Comment un homme et une femme s'aimeront-ils s'ils n'ont point été longtemps ensemble et s'ils ne se sont point gardés une fidélité réciproque? Quelle vertu se peut trouver avec la licence effrénée de se divertir indifféremment comme l'on veut ? Si les enfants sont communs, qui les pourra aimer, ne sachant pas s'il en est le père, ou ayant au moins sujet d'en douter? Comment un enfant honorera-t-il son père qu'il ne connaît pas? Il prendra un étranger pour son père, et son père pour un étranger. De plus, les femmes peuvent être communes, mais les enfants ne le sauraient être. La nature s'oppose à l'établissement de cette extravagante communauté. Il ne reste plus aucun prétexte de la maintenir, si ce n'est celui d'une parfaite intelligence. Il est certain qu'il n'y a point de plus grand sujet de différends et de querelles, que l'inclination que plusieurs hommes ont pour une femme. Si Platon n'a pu écouter la raison, il a pu voir les exemples, et des bêtes qui se battent, et des hommes qui livrent souvent de sanglantes guerres pour ce sujet.
